CANNES 2023 Semaine de la Critique
Critique : Lost Country
par Elena Lazic
- CANNES 2023 : Vladimir Perišić revient avec son premier film en treize ans, dont l'action se passe pendant les élections de 1996 à Belgrade, dans ce qui était encore à l'époque la Yougoslavie
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fiche film], son premier film depuis son tout premier long-métrage, Ordinary People [+lire aussi :
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fiche film], le réalisateur serbe Vladimir Perišić a tenu à décrire sa longue période d’inactivité de 13 ans non pas comme une traversée du désert, mais comme une "naissance dans le désert", sans savoir s'il serait même possible d’en sortir. Son nouveau film, qui a fait sa première mondiale, comme le précédent, à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes, traite non seulement de ce genre de sentiments, de paralysie, de solitude et de désespérance, mais semble faire remonter leur origine au contexte post-Yougoslavie.
On fait la connaissance de l'adolescent Stefan (interprété par le comédien débutant Jovan Ginic) dans une scène idyllique à la campagne, tandis qu'il ramasse des noix avec son grand-père et discute des heures de gloire de ce dernier, dans l’équipe olympique yougoslave de water-polo. La conversation fait l’effet du genre de bavardage nostalgique qui serait mieux adapté au temps présent qu'à l'année 1996 où se situe le film. Tout en mettant en avant une certaine fierté d’être yougoslave, ce passage suggère aussi qu'à l’époque, déjà, certains pensaient que les heures de gloire du pays était derrière lui. Déjà, un sentiment de mélancolie et de regret couvaient.
Stefan, un garçon calme au visage souvent impassible, n'est toutefois qu’un ado normal avec des préoccupations bien de son âge : le chemin du lycée avec ses amis, lancer des regards à une jolie fille de sa classe... Il se soucie également plus que la normale de sa mère Marklena (Jasna Đuričić, connue pour le récent Quo Vadis, Aida? [+lire aussi :
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fiche film]), une femme élégante qui élève son fils seule et a des horaires exigeants dans son travail. Elle serre souvent son fils dans ses bras, lui demande son avis sur ses tenues ("Ce n'est pas trop dénudé ?). Il y a quelque chose de légèrement malsain et vaguement manipulateur dans leur relation, mais rien de particulièrement singulier non plus et Perišić n’insiste pas – après tout, Stefan est encore jeune et n'a pas fini de grandie et changer. De fait, le film rend bien ce sentiment qu'on a, jeune, de n'être encore que l’esquisse d’une personne, une ébauche encore à revoir, une série d’expériences timides.
Ce flou qui ressort de l'ensemble jure d'emblée avec le style visuel extrêmement précis du film, parfois pour un effet intéressant, parfois maladroitement. La chose fonctionne dans le contexte de la relation de Stefan avec sa mère : ici, la photographie très précise (de Sarah Blum et Louise Botkay) ne saurait diminuer l’ambiguïté d'une dynamique intrinsèquement fluctuante, pleine d'implicite et de non-dits. À vrai dire, ces images simples, stéréotypées, d’une relation aimante entre une mère et son fils (qui s'étreignent, passent du temps ensemble à la maison ou en voiture) ne font que faire encore davantage ressortir l’incongruité du lien qui les unit. Cette stratégie visuelle est moins convaincante par rapport à d'autres éléments du film dont Perišić et sa co-scénariste Alice Winocour ont choisi de maintenir la simplicité et l'absence d'ambiguïté. Stefan et ses camarades d’école, par exemple, se conduisent avec un calme et un sérieux qui fait peu réaliste et forcé, une impression soulignée par le rythme tranquille et le style constant du film. On a tout simplement l’impression qu’il n’y a pas de véritable amitié ici, ou quoi que ça ce soit d’autre.
Perišic essaie peut-être de partir de zéro afin de compliquer les choses après, à mesure que le film avance. On entend dès le début du film, sur l'autoradio et dans les couloirs de l’école, que des élections approchent, et le régime de Milosević donne déjà tous les signes d'être prêt à tout pour rester au pouvoir. Stefan et ses amis entendent parler de manifestations d’étudiants contre le régime, et tous décident d'y participer. Parallèlement à ces développements, on s'intéresse de plus près au travail de Marklena et ce n'est pas par coïncidence : elle est la porte-parole du parti de Milosević, celle qui parle à la radio d'élections volées pour discréditer le processus démocratique. Tandis que gouvernement répond de plus en plus violemment aux manifestations étudiantes, les amis de Stefan se radicalisent de plus en plus nettement, et perdent leur patience avec leur ami, qui refuse trop longtemps de choisir un camp.
Hélas, même quand il survient, ce changement fait trop net pour être totalement plausible. Perišić dilue cette impression en retardant les choses, les étirant au maximum et ne quittant pas Stefan tandis qu'il se tortille inconfortablement dans son indécision, mais le sentiment demeure que cette structure est au bout du compte assez forcée, encore plus accentuée par la métaphore maladroite de la perte de vue littérale de Stefan tout au long du film. Lost Country est un film plein de désespoir et de douleur, tourné avec une retenue émotionnelle qui suggère la présence de torrents de chagrin juste sous la surface. On regrette donc vraiment que quand ces émotions émergent enfin, elles soient trop lisses et simples pour avoir l'air totalement authentiques et rendre pleinement justice à une situation extrêmement difficile.
Lost Country a été produit par Easy Riders Films (France), KinoElektron (France), Trilema Films (Serbie), Kinorama (Croatie), Red Lion (Luxembourg) et ARTE France Cinéma (France). Les ventes internationales du film sont gérées par Memento International.
(Traduit de l'anglais)
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