25/05/2023 - CANNES 2023 : Mona Achache livre un film convaincant sur le travail de deuil, sans complaisance mais avec une touche de parfum

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interview : Mona Achache
fiche film], la réalisatrice franco-marocaine Mona Achache livre un curieux docufiction hybride qui documente de manière extrêmement personnelle la vie de sa mère Carole, et qui a présenté en séance spéciale cette année au Festival de Cannes. En partant d'un événement profondément sombre, à savoir la mort de Carole en 2016, par suicide, sa fille et réalisatrice, qui se retrouvent avec des boîtes entières de notes, de lettres, des cassettes des photographies, se lance dans une mission : rejouer tout le parcours de vie de sa mère, le tout avec des documents au support et présenté en un seul travail, mettant côte à côté le déroulement des choses et le résultat.

Achache s'inscrit dans une lignée qui remonte et à Henri Bergson, et à Marcel Proust (mais aucun des deux n'est jamais mentionné dans le film : il y a déjà ici beaucoup d’autres questions à traiter). Sa grand-mère, Monique Lange, était une écrivaine prolifique qui a également travaillé comme éditrice pour Gallimard, et interagi avec des gens comme William Faulkner, Marguerite Duras, Marcel Camus et Jean Genet. Ce dernier est devenu un ami proche mais problématique, qui a dépassé gravement certaines limites, y compris en abusant de la fille de Monica et donc la mère de Mona, Carole, quand elle était toute jeune, plus ou moins avec l’"approbation" de Monique. Achache alterne ces révélations avec des plans nostalgiques charmants montrant les clubs apparemment insouciants de Saint-Germain-des-Prés dans les années 1950, ce qui assombrit encore l'histoire.

Le sujet central reste bien sûr Carole, qui a elle-même eu son moment dans l'effervescence de 1968, se lançant alors dans un parcours sauvage et parfois destructeur, en partie du fait de l’esprit permissif de ces années-là, en partie à cause de son passé difficile. Petit à petit, les piles de boîtes sont soigneusement passées en revue, et des photos et notes sont agrafées au mur comme dans un film d’enquête criminelle, ou elles sont triées par piles sur toute la surface d'un grand studio. Il y a des plans assez magnifique de la scène, où ces piles font presque l’effet d'installations artistiques.

La pièce de résistance de ce travail de documentation est une véritable installation en soi : une actrice est embauchée pour littéralement rejouer Carole (qui n'est autre que Marion Cotillard, rien que ça). Dans une scène qui va sûrement se retrouver dans les résumés best-of sur l'année 2023, on voit Cotillard se faire remettre les vêtements et accessoires de Carole (T-shirt, jean, lunettes, même le parfum) et, débarrassée de ses propres habits, les passer un à un. À partir de là, Marion est Carole, avec ses qualités et ses défauts, soulignés par une note de parfum (et parfois le fait qu'elle redit les mots enregistrés par Carole), ce qui nous enfonce encore davantage dans des événements du passé. plus d’évènements passés. Little Girl Blue, dont le titre vient d’une chanson de Janis Joplin qu'on entend dans le film et qui est tout à fait à propos, représente bel et bien une phase (certes peu orthodoxe) du travail de deuil, profondément personnelle pour Achache, fascinante pour le spectateur qui est autorisé à entrer dans ces pièces privées. On peut aussi percevoir en filigrane plusieurs sous-intrigues qui mériteraient un jour leur propre film. Ceci n'est-il que le début d’un nouveau voyage, cette fois entrepris par la fille de Carole et non par la mère de Mona.

Little Girl Blue a été produit par la société française Les Films du Poisson et la belge Wrong Men. Les ventes internationales du film sont assurées par Charades.

(Traduit de l'anglais)