email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

KARLOVY VARY 2023 Séances spéciales

Critique : Smiling Georgia

par 

- Dans son premier long-métrage, Luka Beradze prend comme point de départ une histoire hallucinante et pleine d'humour noir pour livrer un tableau émouvant de l'amertume et de l'aliénation qui habitent la campagne géorgienne

Critique : Smiling Georgia

Ça commence comme une histoire drôle. En 2012, un candidat politique géorgien a promis de nouvelles dents à tous ceux qui voteraient pour lui. Des centaines de gens, pour la plupart âgés de plus de 60 ans et résidant à la campagne, se sont fait arracher les chicots pendant la campagne, avec la promesse qu'ils seraients remplacés plus tard. Quand le candidat en question a perdu les élections, les villageois se sont retrouvés avec encore plus de dents manquantes qu'avant.

Le réalisateur géorgien Luka Beradze reprend le nom ("Géorgie souriante") de cette campagne électorale scandaleusement sans vergogne comme titre pour son film. Smiling Georgia [+lire aussi :
interview : Luka Beradze
fiche film
]
a fait sa première mondiale parmi les séances spéciales du Festival de Karlovy Vary et avec ses 62 minutes de durée, c’est un des longs-métrages les plus courts sélectionnés cette année. C’est aussi un des plus contemplatifs et des moins pédagogiques, en plus d'être un des meilleurs.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

La première partie du film est franchement drôle qui réunit des témoignages de villageois sur ce jour fatal où ils ont été mis sur un bus pour se faire arracher parfois plus de quatre dents d’un coup. Beradze nous autorise à rire au début, mais pas d'un rire moqueur : plutôt de choc et de surprise. Pourquoi ces gens sont-ils si calmes en évoquant les faits ? Peut-être parce que ces événements se sont produits il y a une dizaine d'années. Il n'en reste pas moins que la manière dont les témoins les expliquent, comme si l'ensemble avait une logique, est assez stupéfiante. Comment ont-ils pu laisser cela leur arriver ?

Des réponses arrivent au fur et à mesure, quand le film devient un observateur plus patient, montrant des aspects de la vie quotidienne de ces gens en silence et sans forcer d'arguments : parfois, ce qu'on voit est drôle, parfois c’est plus ambigu. Un plan prolongé sur un hilarant groupe d’hommes qui chantent complètement faux à une fête de mariage est très amusant, mais aussi légèrement déconcertant : ce à quoi on assiste à plus à voir avec la tradition, de sorte que c'est au-delà de notre entendement et on n'est pas vraiment bien placé pour le juger. Beradze présente ces petits éléments insolites sans cacher qu'ils peuvent paraître très incongrus pour quelqu'un de l’extérieur, mais aussi sans les juger, jusqu'à ce qu’il soit révélé qu'ils font partie d’un projet bien plus vaste visant à humaniser ses sujets.

Dès le départ, le chef opérateur Lomero Akhvlediani et Beradze, qui a aussi monté le film, avec Nodar Nozadze et Ioseb 'Soso' Bliadze (auquel on doit A Room Of My Own [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Ioseb “Soso” Bliadze et Ta…
fiche film
]
), sont attentifs à la beauté particulière de l’environnement, profondément liée à son relatif vide. Les maisons assez décaties surgissant de la verdure luxuriante et les animaux, qui entrent et sortent du champ, suggèrent un rythme de vie très lent, à des lieues des émissions tapageuses et tonitruantes qui jouent sur le poste de télévision d'un personnage, ou des vêtements étincelants et des faux sourires des candidats politiques sur les affiches qu’on voit partout en ville. Le sentiment qui prévaut est celui d'un indéniable fossé entre la campagne et la ville, la seconde contrôlant la première, comme le montre le scandale "Géorgie souriante".

Aussi divertissant et chaleureux que le film puisse être, il est aussi indéniablement amer, ce qui est particulièrement frappant dans une séquence où une journaliste et son équipe technique viennent dans le village. Cette élégante étrangère veut offrir de nouvelles dents à une des pauvres femmes du coin, dans le cadre de son émission de télévision. C’est un projet tout à fait abject, comme le mari furieux de la victime de l’escroquerie le fait valoir : "J'ai honte d’être utilisé comme un clown". La journaliste est choquée, mais la réaction du mari s'avère amplement justifiée quand, dans un développement encore plus surréaliste, la journaliste est désemparée de constater que son potentiel sujet n'a besoin "que" d'un nouveau dentier : "Je veux aider des gens qui n'ont plus de dents, et vous m’amenez voir une femme qui porte un dentier".

Smiling Georgia brosse un tableau délicat d’une partie de la Géorgie qui est très belle mais profondément solitaire et désenchantée, et pourtant encore menacée par l'égoïsme des politiciens et autres profiteurs qui continuent de leur tourner autour comme des vautours.

Smiling Georgia a été produit par 1991 Productions.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

(Traduit de l'anglais)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Privacy Policy