Critique : Essential Truths of the Lake
par Giorgia Del Don
- Le nouveau long-métrage du génial cinéaste philippin Lav Diaz détaille les tourments d'un lieutenant obsédé par une mystérieuse affaire restée non élucidée

Avec Essential Truths of the Lake [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film], sélectionné en compétition internationale au Festival de Locarno festival (où il a remporté en 2014 le Léopard d’or pour From What Is Before), le réalisateur philippin Lav Diaz nous oblige encore une fois à aborder le cinéma de manière différente, plus introspective, à déguster chaque plan, aussi amer qu'il puisse être, comme si c’était un met exquis. Intéressé, comme toujours, par les plaies ouvertes de son pays, qui continue de souffrir le martyre que lui inflige le président Rodrigo Duterte, le cinéaste essaie dans Essential Truths of the Lake de comprendre ce qui pousse encore un être humain, plus particulièrement un lieutenant de police, à rechercher la vérité. Y a-t-il encore un sens à parler de vérité et de justice concernant quelqu’un qui fait partie d’une institution corrompue jusqu'à l'os par le despotisme d’un leader sanguinaire ?
"Nous obéissons aux ordres, pas à la loi", dit, presque en murmurant, le héros du film, le lieutenant Hermes Papauran (interprété par John Lloyd Cruz), à sa cheffe, une ancienne "camarade de classe", comme ils aiment à le dire, avec laquelle il partage le désir quasi utopique de ne faire son travail qu'au service de la justice. Un constat amer mais terriblement réaliste qui sert de moteur à une profonde quête de sens. Que peut faire un "bon" policier, mais aussi tout simplement une "bonne" personne, face à la corruption rampante ? Est-il encore possible de ne pas se laisser happer par la violence qui semble tout détruire, comme une tornade ?
La quête personnelle d'Hermes Papauran, considéré par beaucoup comme le meilleur enquêteur des Philippines, est structurée autour d’un mystérieux homicide survenu quinze ans plus tôt : celui d'Esmeralda Stuart (une intrigante Shaina Magdayao), mannequin et artiste de scène que personne ne semble vraiment connaître. Le décor où est survenu le meurtre qui sert de toile de fond au film est dominé par un lac impénétrable et obstinément silencieux, entouré d’un paysage volcanique constamment menacé par des secousses telluriques qui se muent en des cris étouffés. Si personne ne croit plus à la résolution de cette enquête pour homicide, connue sous le nom d'affaire de l'aigle philippin, le lieutenant Papauran s'y agrippe comme un maniaque, comme si sa vie elle-même en dépendait, comme si seule Esmeralda pouvait redonner un sens à son existence.
En enquêtant sur la vie du mannequin-artiste, qui évoque par moments une intrigante Laura Palmer, le héros du film se trouve de plus en plus en symbiose avec l’aigle philippin, un animal en voie d’extinction qu'adorait Esmeralda – à la fin de sa vie, elle avait tout fait pour le protéger. Tout comme elle, en revêtant le costume à plumes qu'elle portait lors de ses mystérieuses performances, Hermes Papauran semble devenir l'aigle lui-même, ensorcelé par une liberté qu’il n’a jamais pu goûter. Plus le film progresse, plus l’enquête policière semble céder le pas au rêve, ou mieux aux hallucinations et aux délires de son héros. En enquêtant au cœur des Philippines, à la fois protégé et étouffé par la pénombre de la forêt, dans les brèches de banlieues animées par des "picaros" en tous genres, Hermes fait le jour sur des réalités cachées, des contradictions et des espoirs que le pouvoir voudrait faire taire. Plus le héros s’éloigne de la ville, de sa réalité, plus le monde semble s’enrichir de nuances et de cruelle poésie, mais aussi d’une improvisation saine et cathartique. Et si c’était justement ça, la vérité ?
Lav Diaz, qui ne cesse de creuser le potentiel du médium cinématographique et sa capacité à dépeindre des réalités "autres", joue habilement avec la temporalité en nous obligeant à nous concentrer sur des détails et des personnages trop souvent oubliés. Entre ses mains, qui n'ont cure des règles propres au marché du cinéma, la violence se transforme en poésie.
Essential Truths of the Lake a été produit par Epicmedia Productions (Philippe), Films Boutique (France/Allemagne), qui s’occupe aussi des ventes à l’international du film, et Rosa Filmes (Portugal), en coproduction avec Tier Pictures (Singapour), Volos Films Italia et Bord Cadre films (Suisse) ainsi que Sovereign Films (Royaume-Uni).
(Traduit de l'italien)
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