Critique : The Human Surge 3
par David Katz
- Le deuxième long-métrage de l'Argentin Eduardo Williams, dont le titre est un clin d'oeil à la notion de chronologie, est un spécimen éblouissant et curieux de cinéma expérimental
Comme pour De La Soul il y a quelques temps, pour Eduardo Williams, trois est le chiffre magique. Son premier long-métrage, The Human Surge [+lire aussi :
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fiche film], documentait les vies de jeunes gens beaux et condamnés entre son pays natal, l'Argentine, le Mozambique et les Philippines. À présent, dans The Human Surge 3 [+lire aussi :
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fiche film], "suite" putative de ce film, on se pose au Pérou et à Taïwan, voisins de continent de deux de ces pays, ainsi qu'au Sri Lanka, mais alors que The Human Surge parcourait les pays observés de manière séquentielle, ici, et ça change tout, on passe régulièrement de l'un à l'autre, à tel point qu'on peut parler de simultanéité.
Williams livre de nouveau un travail, projeté en première mondiale dans le cadre de la compétition internationale de Locarno, qui confirme qu'il est bien à la pointe du cinéma expérimental mondial, particulièrement pour la manière qu'il a de faire se côtoyer cette catégorie générique du Septième Art avec le monde de l'art contemporain. Dit comme ça, cela paraît contradictoire, mais son oeuvre est réellement abstraite et concrète à la fois : son essence, ses participants et ses méthodes de confection d'images sont très actuelles, dans ce XXIe siècle fragmenté et mondialisé, mais tout cela est contrebalancé par le tempo glacial de son montage, le peu d'exposition auquel on a droit et le fait qu'on ignore ses intentions en tant qu'auteur. Dans la lignée de la programmation de Locarno, ce film repousse par ailleurs les limites auxquelles on s'attend en matière de documentaire : la réalité est ici courbée, brisée et déformée, mais aussi reconstruite comme quelque chose de nouveau.
À cet égard, le choix de caméra de Williams pour ce film est immensément pertinent et le libère peut-être d'un impératif de profondeur thématique, car il indique que le propos du film est entièrement lié à l’image. La totalité de El auge del humano 3 a été filmée avec une caméra panoramique 360° équipée de huit objectifs différents qui ont enregistré des images en mouvement a priori destinées à être visualisées en VR avec un casque, sauf que ces images ont ensuite été transposées dans le format rectangulaire habituel au cinéma, de manière à pouvoir être projetées normalement. Cette utilisation légèrement décalée de la technologie donne lieu à des juxtapositions et manipulations visuelles merveilleuses et troublantes : les images tournées en extérieur fondent, balaient et se courbent. Comme pour beaucoup de productions numériques dernier cri, les angles de caméra ne peuvent être déterminés qu'au stade du montage. En adoptant cette approche joueuse certes tape-à-l'oeil, mais jamais complaisante, Williams fait grosso modo un solo de guitare qui s'étale sur tout le film.
Reste à voir comment tout ceci se rapporte aux endroits qu'on voit, des lieux du "Sud", lointains de l'Occident, qui font souvent l'objet de représentations trompeuses ou exotiques, ici décrits comme des lieux d'aliénation et de déperdition de la jeunesse ? La question telle que la traite Williams, avec ce niveau d'inflexion stylistique et de distortion, reste hélas ouverte. La caméra est placée si loin de ses sujets qu’on ne peut pas accorder l’audio des conversations aux visages ou aux lèvres qui bougent. Les sous-titres, qui apparaissent en blanc et en jaune pour correspondre aux dialogues qui se chevauchent, font l'effet d'un commentaire sur les images sans lien avec elles.
Il est impossible de rattacher des noms aux visages des non-professionnels qu’il filme, mais quels visages. Surtout dans ce qu’on aperçoit du Pérou, on note de petits éclats de colère : les mines de sel canadiennes puisent dans leurs ressources, et puis il y a les enclaves touristiques soigneusement gardées, peuplées de "millionnaires et de milliardaires" juste à côté des marécages et du courant d'eau qui gicle. Ce qu'on voit, dans les trois lieux, ce sont des paysages naturels qui existent depuis des siècles, mais qu'on observe à travers des instruments de captation numérique qui suggèrent un courant sous-jacent de surveillance. On peut sans doute les apercevoir sur des images Google Earth en 3D sur nos téléphones ou ordinateurs, mais c'est tellement mieux au cinéma, et à travers le regard de Williams.
The Human Surge 3 est une coproduction entre l'Argentine, le Portugal, le Brésil, les Pays-Bas, Taïwan, Hong Kong, le Sri Lanka et le Pérou, qui a réuni les efforts de Un Puma, Oublaum Filmes, Estúdio Giz, Revolver et Volos Films. Les ventes du film à l'international sont gérées par Rediance.
(Traduit de l'anglais)
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