Critique : Rossosperanza
par Muriel Del Don
- Le dernier long-métrage d’Annarita Zambrano est un film percutant, une satire féroce et violente de la dignité dans une société prisonnière de ses petits privilèges sans importance

Annarita Zambrano, née à Rome mais parisienne d’adoption, a présenté ses courts-métrages dans de prestigieux festivals internationaux avant d’arriver à Cannes avec son premier long-métrage, Après la guerre [+lire aussi :
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fiche film], sélectionné dans la section Un Certain Regard. Rossosperanza [+lire aussi :
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fiche film], son deuxième long, en compétition à Locarno, nous ramène en arrière dans le temps, dans les rugissantes années 1990, entre les murs d’un institut de redressement dédié à "soigner" les déviances, dernier recours pour les parents des classes supérieures qui souhaitent "réparer" une progénitude cabossée et rebelle qui semble décidée à imposer ses propres règles.
Les années 1990, période à la fois violente et excitante où on pouvait danser comme des fous au son de la musique techno, sont au centre du nouveau long-métrage d’Annarita Zambrano. Rossosperanza raconte en effet l’histoire parfois délicieusement surréaliste d’un groupe de jeunes qui retrouvent dans la musique, dans le rassemblement des corps se déchaînant au rythme de sons répétitifs aux vertus cathartiques, un exutoire face à un présent auquel ils n'ont plus envie d’appartenir. À l’intérieur de ce groupe exclusif, formé d'adolescents nés avec une cuillère en or dans la bouche mais en total état de révolte, on a d'abord Nazzarena (Margherita Morellini), une sociopathe qui a tenté de tuer à l'insecticide anti-cafards un évêque ami de sa famille, Alfonso (Lonardo Giuliani) qui, malgré son père démocrate-chrétien, n’a pas l’intention de réprimer son homosexualité, Marzia (Ludovica Rubino) qui, tout en rêvant de devenir enfant-star sur Mediaset, séduit des adultes riches convaincus de pouvoir obtenir tout ce qu'ils veulent, et Vittoriano (Luca Varone), sorte de cannibale enfermé dans un mutisme qui le protège de la violence d'une société consumériste où empathie et tendresse ne comptent désormais plus du tout.
Leur présent est marqué par des exercices de self-control répétitifs dispensés par de grotesques éducateurs-gourous qui croient pouvoir réparer leurs esprits dysfonctionnels. En effet, tout ce qui compte pour les familles de ces jeunes rebelles, c'est de parvenir à une normalité qui rime avec soumission docile. Rossosperanza est un film politique, un film contre le pouvoir d'un État qui s'accroche désespérément à l'idée de famille entendue comme famille "respectable", à savoir hétéropatriarcale et bourgeoise. Cœur battant d'une machine perverse alimentée par une mentalité machiste qui se joue cruellement de l'inclusion, la famille devient, pour les personnages de Rossosperanza, l'ennemi à abattre. La lutte est faite de moments de rassemblement entre jeunes qui s'expriment davantage avec leur corps qu'avec des mots, naufragés à la dérive qui cherchent désespérément une île où ils pourront exprimer leur identité, libres de tout diktat bourgeois. Comme l'a dit la réalisatrice elle-même à Pardonews, "le cinéma sert à secouer, d'une manière ou d'une autre, les consciences, quitte à agacer". Son cinéma est subversif et politique, et s'oppose à toutes les restrictions normatives.
La soif de rébellion, incarnée par les jeunes héros du film, guide aussi les choix narratifs de Zambrano, qui transforme le réel en un parc d’attractions absurde habité par des freaks qui revendiquent fièrement leur différence. Qu'il s'agisse d’un tigre échappé d'un zoo privé ou d’un doigt sectionné qui devient trophée de guerre, dans Rossosperanza, tout déjoue les apparences. Le film devient ainsi l'allégorie d’un monde décadent où les abus se transforment en normalité (les références à l'émission alternative des années 1990 Non è la Rai ne sont pas là par hasard). Dans ce contexte, se battre pour défendre sa singularité et son humanité est vital. Cruel et poétique, l'univers créé par Zambrano, qui rappelle par moments Porcherie de Pasolini, s'insinue sous la peau comme un doux poison.
Rossosperanza a été produit par MAD Entertainment en coproduction avec Minerva Pictures et TS Productions avec RAI Cinema. Minerva Pictures s'occupe également des ventes internationales du film.
(Traduit de l'italien)
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