LOCARNO 2023 Cineasti del presente
Critique : A Good Place
par David Katz
- Le film de Katharina Huber est la représentation, inspirée par la science-fiction, d’une communauté en déclin dans une région montagneuse allemande, ainsi que de deux jeunes femmes qui y résistent

La programmation du Festival de Locarno compte une prédominance de "pièces de théâtre". Peut-être que le public et les critiques de cinéma peuvent ainsi trouver des excuses à des œuvres moins abouties sur cette base. C’est pourtant le meilleur moyen pour saisir la puissance du premier long-métrage de Katharina Huber, A Good Place [+lire aussi :
bande-annonce
interview : Katharina Huber
fiche film], présenté en avant-première dans la section Cineasti del presente. Le film a remporté le prix du réalisateur émergent et celui d’interprétation féminine (lire la news). C’est un film qui regorge de contradictions et de paradoxes. Le ton est solennel, mais les détails de l’intrigue sont fous ! Le rythme est lent, mais les événements s’enchaînent sans que les spectateurs puissent reprendre leur souffle ou s’y retrouver. Et manifestement, l’histoire se déroule dans un lieu peuplé de génies polyglottes, qui ne s’expriment qu’en allemand, mais affectionnent particulièrement les émissions de radio britannique rétro (de celles qui auraient pu être sélectionnées dans l’étrange musique chill-out des années 1990).
Nous sommes fort heureusement débarrassés de la période COVID et des restrictions imposées au cinéma, mais la genèse de ce film produit en 2021 fournit également un contexte. Nous sommes dans un village au cœur d’une région agricole, quelque part dans les montagnes allemandes, il y a deux maisons : l’une semble abriter tous les membres d’une famille nombreuses et l’autre, un jeune couple. Il semblerait que la réalité s’arrête là. Toutefois, la seule source de nourriture se résume à des poulets, élevés puis abattus ici. Une maladie mystérieuse se propage, causant la mort ou la disparition des habitants. Une fusée est sur le point d’être lancée, l'exploration de l'espace et peut-être la colonisation sont-ils le remède à cette débandade. Quoi qu’il en soit, Huber exprime ici de nombreuses inquiétudes et angoisses, notamment celles d’une génération Y ultra-connectée.
Une fois la toile de fond posée, nous suivons Güte (Clara Schwinning, lauréate du Prix d’interprétation féminine) et Margarita (Céline De Gennaro), deux jeunes femmes d’une vingtaine d’années, issues des familles évoquées plus haut. Alors qu’autour d’elles, le reste du village tombe malade, elles cherchent leur propre remède et leur propre liberté. Elles cherchent aussi à échapper aux avances du très justement nommé Wolf (Jannik Mioducki), un jeune homme basané et violent.
A Good Place parvient étrangement à transmettre ces informations à travers deux effets d’aliénation. Tout d’abord, l’atmosphère totalement tranquille du village, la lenteur du mode de vie qui en découle, le manque d’indices matériels qui montrent que nous sommes dans une réalité spéculative. Et puis, la stratégie même d’Huber, qui en tant que monteuse, retire autant de choses qu’elle peut de la diégèse tout en conservant (à peine) le sens. Son découpage fragmenté et ambigu nous rappelle Angela Schanelec (désormais une référence pour les jeunes réalisatrices allemandes), mais si l'on prend le film dans l’autre sens, et on obtient le roman L'Arc-en-ciel de la gravité, dont les titres de chapitre classés par ordre décroissant comptent 10, 9, 8, 7 jusqu'à la détonation de la fusée, mais également Jacques Rivette, avec les personnages féminins complotistes et les cristaux magiques qui surgissent dans le deuxième chapitre.
Alors que tout cela surgit tout doucement (et peut-être après avoir revu le film plusieurs fois), l'atmosphère est suffisamment séduisante pour captiver le public et nous amener à un niveau surprenant de pathos alors que les sous-titres à l'écran atteignent le chiffre "1". Production allemande totalement indépendante, A Good Place mérite de parcourir le monde après un passage acclamé à Locarno. Il est rare de rencontrer un cinéma narratif expérimental et déconstruit aussi convaincant.
A Good Place est une production allemande de ACKER film.
(Traduit de l'anglais par Karine Breysse)
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