Critique : Hesitation Wound
par Fabien Lemercier
- VENISE 2013 : Le Turc Selman Nacar confirme tout son potentiel grâce à un thriller judiciaire et intime doté d’un scénario sachant très bien cacher son jeu et d’un réalisme social acéré

"Pour que la justice se manifeste pleinement, je vous invite à y réfléchir avant de rendre votre jugement." Très remarqué en 2021 avec son premier long Between Two Dawns [+lire aussi :
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interview : Selman Nacar
fiche film], Selman Nacar est déjà de retour avec un nouvel opus d’aussi bonne facture, Hesitation Wound [+lire aussi :
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fiche film], projeté dans la compétition Orizzonti de la 80e Mostra de Venise. Creusant de nouveau le sillon des questions d’éthique, de morale, de conscience personnelle, les zones grises entre vérité et mensonges, ambitions et renoncement, tout en dressant par petites touches très réalistes le portait d’un pays prenant l’eau, le cinéaste turc démontre également un redoutable sens du suspense et des effets surprise que sa protagoniste, l’obstinée avocate Canan (Tülin Özen) va expérimenter à ses dépens, dans une remise en cause quasi permanente de toutes ses certitudes, elle qui n’aime rien tant que contrôler toutes les situations.
C’est jour de procès dans le petit tribunal d’Uşak (une ville située au cœur de la Turquie, sur la route reliant Izmir et à Ankara). À l’aube, un fourgon pénitentiaire a quitté la prison, convoyant l’accusé Musa (Oğulcan Arman Uslu). Canan, qui assure sa défense, arrive directement de l’hôpital où elle veille, en se relayant jour et nuit avec sa sœur Belgin (Gülçin Kültür Şahin), leur mère plongée dans le coma et pour laquelle commence à se poser la question douloureuse (rejetée par Canan) d’un arrêt des machines et d’un futur don d’organes très déterminée ("je me battrai jusqu’au bout")
Fière et très déterminée ("je me battrai jusqu’au bout"), la jeune avocate, diplômée au Royaume-Uni et unique femme au milieu d’hommes dans cet espace judiciaire, prépare pour l’audience un client assez renfermé qui préfère écouter un sombre rap local ("les plus malins gagnent, arrête de ramper et de mettre fin à ta vie… le chagrin va te bouffer, le prix à payer ne finira jamais, on ne rêve pas d’un tel endroit, on n’a pas le droit de faire une erreur"). Nous ne savons pas encore de quoi il est accusé, mais Canan a confiance, misant sur une vidéo-surveillance de bureau étrangement effacée et sur un témoin inédit. Quand ce dernier ne se présente pas et grâce à un report accidentel de l’audience pour quelques heures, elle part à sa recherche…
Distillant savamment des micro-indices qui serviront bien plus tard dans l’intrigue, Selman Nacar truffe son film d’informations, trompeuses et de demi-vérités dans une variation très subtile de nuances et d’ambiances qui dessine peu à peu le portait individuel et collectif (une femme, une famille, un système judiciaire, différentes classes sociales, une morale, etc.) d’un profond délitement. Autant d’éléments parfaitement emboîtés et masqués dans une enveloppe de thriller et de mystère très maîtrisée qui font du réalisateur-scénariste un expert es détection et un nom indiscutablement à suivre de très près à l’avenir.
Produit par les Turcs de Fol Sinema, Karma Films et Kuyu Film, coproduit par leurs compatriotes de TRT, BKM Mutfak et Sev Yapim, ainsi que par les Espagnols de Nephilim Producciones, les Roumains de Point Film et les Français d’Arizona Films, Hesitation Wound est vendu par Magnolia Pictures International.
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