15/09/2023 - Une mère désemparée tente de faire revenir son fils adolescent vers l’hétérosexualité dans un film au réalisme à la fois âpre et sophistiqué signé Carolina Markowicz

"Je n’aime pas ces trucs louches, mais il n’y a rien qu’une mère ne ferait pas pour la santé de son fils." Nous sommes à Cubatão, dans l’État de São Paulo, une ville enténébrée par l’omniprésence visuelle et sonore des usines de raffinage pétrolifère. Tel est le décor, hautement suggestif, des mésaventures des deux protagonistes (une mère et son fils) de Toll [+lire aussi :
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fiche film], le second long métrage très maîtrisé de Carolina Markowicz (très remarquée l’an dernier avec Charcoal), dévoilé dans la section Centrepiece du 48e Festival de Toronto (où la cinéaste brésilienne est aussi à l’honneur cette année avec le prix TIFF Emerging Talent) et qui enchaînera au programme Horizontes Latinos du 71e Festival de San Sebastián.

"C’est plus que la plupart des mères doivent endurer dans toute leur vie." Suellen (la charismatique Maeve Jinkings, appréciée notamment dans Aquarius [+lire aussi :
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fiche film] et Les bruits de Recife) qui travaille dans un péage autoroutier, a terriblement honte des vidéos mises en ligne par son fils Antonio (Kauan Alvarenga): "Tu sais ce que les gens disent ? Que tu deviens un trans". Mais l’adolescent de 17 ans, qui se rêve diva, lève les yeux au ciel, soupire, fait le dos rond et continue à s’enregistrer, chantant en play back Baby Won’t You Please Come Home (version Dinah Washington) en proposant des produits à l’achat, tout en piquant le maquillage de sa mère célibataire qui l’aime profondément mais qui essaye désespérément de trouver une solution pour le faire revenir vers l’hétérosexualité.

"Tu ne règleras pas ce problème en allumant une bougie de virilité en haut d’une falaise à 5 heures du matin", "s’il devient adulte, tout sera perdu, il n’y aura pas de retour en arrière possible". Collègue et amie de Suellen, la très pieuse (en apparence) Telma (Aline Marta Maia) préconise d’inscrire Antonio à un programme prétendument miraculeux organisé par un pasteur-gourou venu d’Europe (Isac Graça). Au pied du mur, Antonio accepte et débute un stupéfiant "processus bioénergétique de resignification". Mais cette cure n’est pas dans les moyens de Suellen qui décide alors de se rapprocher de son ancien amant, le voleur Arauto (Thomás Aquino)…

Entrelaçant plusieurs fils conducteurs (l’existence difficile d’une ouvrière mère célibataire, les espérances d’un jeune gay au seuil de l’émancipation de la vie adulte, les relations affectives attachantes entre les deux personnages principaux, le poids religieux "délirant" made in Brésil, la délinquance ambiante), la cinéaste façonne patiemment une harmonie très personnelle, à la fois hyper réaliste, intime (les scènes de cuisine familiale, les discussions à la cafétéria entre Suellen et Telma), picorant dans le cinéma de genre (braquages à moto et rencontres entre voleurs et receleurs) et filmé avec énormément de très beaux plans (grâce au talent du Vénézuélien Luis Armando Arteaga à la direction de la photographie). Tissant également en sous-main un tableau de la société brésilienne où "certaines choses ne changent jamais", mais pas forcément celles auxquelles on pourrait penser, Toll confirme les dons évidents (encore un peu masqués par le côté doux-amer d’une intrigue travaillant sur la répétition et sur un développement calmement graduel) d’une réalisatrice à suivre de très près.

Produit par les Brésiliens de Biônica Filmes et coproduit par les Portugais de O Som e a Fúria, Toll est vendu à l’international par la société française Luxbox.