Critique : Kanaval
- Henri Pardo propose dans son premier long-métrage un récit attendrissant sur le traumatisme et le déplacement
Le premier long-métrage de Henri Pardo, intitulé Kanaval, présenté en première mondiale dans la section Centrepiece du Festival de Toronto (où il a gagné le Prix Amplify Voices du meilleur long-métrage canadien BIPOC ainsi qu’une mention honorable comme meilleur long-métrage de fiction canadien, lire l'article), relate les mésaventures d’un jeune garçon, Rico (Rayan Dieudonné), qui vit dans une petite ville portuaire du nord d'Haïti, avant qu'un événement traumatisant ne le force, ainsi que sa mère Erzulie (Penande Estime), institutrice, à fuir vers le Québec.
L'action de ce captivant récit d’apprentissage articulé autour du thème de la diaspora se déroule en 1975, et la péripétie principale de histoire survient pendant la célébration annuelle du carnaval haïtien. Malgré les avertissements de sa mère, Rico fait le mur et se fond dans l’ambiance électrique des festivités. Quand il rentre chez lui, il assiste, caché, à l'agression de sa mère enceinte par un groupe de soldats qui l'accusent de répandre la propagande communiste dans sa salle de classe. L'attaque est tellement brutale qu'Erzulie perd son enfant.
Dans l’ensemble, c'est une histoire touchante sur le traumatisme et le déplacement que Pardo a écrit et mis en scène. Rico et Erzulie sont contraints de s’adapter à leur nouvel environnement, un endroit où ils vont recevoir du soutien, mais aussi beaucoup de haine, car ils sont victimes de différentes formes de discrimination, de racisme et (dans le cas de Rico) de harcèlement à l'école.
Erzulie, qui n’arrive pas à surmonter la perte de son bébé, fait l’effet d’une bombe à retardement. Rico est inévitablement victime de la tension qu'elle sent et commence à souffrir d’un sentiment de solitude. De plus, il se sent déconnecté de sa vie d’avant, à Haïti, et se met pour compenser à composer son propre monde imaginaire.
Le "refuge" onirique de Rico, qui donne au film des nuances de réalisme magique, est le kanaval, dont les vibrations colorées (mais aussi mystérieuses et légèrement dérangeantes) accompagnent toujours Rico. Le "maître" de ce monde imaginaire est Kana, une créature à moitié humaine, à moitié animale qui fait office de guide et partage la perception de Rico qu'il est entouré d'"aliens" – c'est comme ça que l'enfant appelle les habitants de la petite communauté rurale où lui et sa mère se retrouvent.
Malgré les efforts sincères d'un vieux couple qui les accueille, Cécile (Claire Jacques) et Albert (Martin Dubreuil), Rico a du mal à trouver un sens à sa nouvelle vie, à cet endroit où chasser est un des passe-temps préféré des gens, où le climat est aussi rude et où les enfants de son âge sont aussi peu amicaux, pour ne pas dire traîtres.
La figure du monde/de l'ami imaginaire n'éblouit certainement pas par son originalité ; c'est un classique dans de nombreux récits d’apprentissage avec personnage central tourmenté. Cependant, ici, le dispositif fonctionne bien et il est intégré de manière assez naturelle au récit. Même si ces scènes ont été bien filmées par le chef opérateur Glauco Bermudez, certains éléments de ce monde (et le personnage de Kana) sont rendus à travers des images de synthèse loin d'être impeccables.
Heureusement, ce défaut technique n'affecte pas énormément l'impact émotionnel du film, qui fait tout de même l'effet d'être sincère et fait du fond du coeur. Il faut aussi souligner l’excellent travail de Dieudonné : malgré son jeune âge, il parvient à doter le personnage de Rico de la juste dose de tendresse, d’esprit rebelle et de fierté.
Kanaval a été produit par la société canadienne Yzanakio avec la luxembourgeoise Wady Films.
(Traduit de l'anglais)
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