FILMS / CRITIQUES Luxembourg / Allemagne
Critique : Maret
par Fabien Lemercier
- Laura Schroeder signe une fiction très singulière, atmosphérique et clinique, émotionnelle et énigmatique, sur l’amnésie dissociative, la quête du soi et la stimulation cérébrale profonde

"Livrés à nous-même, nous sommes juste trop primitifs pour affronter la société que nous avons bâtie." C’est sur l’étroit chemin entre existence et disparition, au cœur de la vie et de la personnalité d’une femme plongée dans la pénombre d’une sévère amnésie dissociative à la suite d’un accident cérébral que la cinéaste luxembourgeoise Laura Schroeder (appréciée avec Barrage [+lire aussi :
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fiche film] à la Berlinale 2017) s’aventure avec une intrigante originalité dans son 3e long métrage, Maret, présenté en première française dans la section Perspectives du 14e Festival International du Film de La Roche-sur-Yon.
"Les synapses doivent être reliées d’une façon totalement nouvelle pour que notre comportement puisse changer." Maret (l’Allemande Susanne Wolff), 44 ans, écoute très attentivement le docteur Moore (la Danoise Iben Hjejle) car depuis quelque mois et ce moment où elle s’est écroulée en pleine campagne, elle surnage dans une zone fantomatique : elle a tout oublié des 20 dernières années de sa vie, son compagnon Thomas (l’Allemand Stephan Kampwirth) est un véritable étranger pour elle et son quotidien d’artiste travaillant dans la publicité s’est complètement évaporé. Elle décide donc de partir aux Canaries, sur l’île de Lanzarote, où le docteur Moore et son équipe mènent des recherches sur la stimulation profonde du cerveau avec une éventuelle opération à la clé. Il faut d’abord, via de tests, établir la cartographie cérébrale de Maret ("la façon dont vous traitez la peur, votre capacité d’empathie, votre seuil d’inhibition"), mais plus le processus avance, plus le voile se lève imperceptiblement sur son passé, plus Maret redécouvre son caractère sous un jour qui n’est pas forcément flatteur. Au bord du gouffre, elle devra choisir : retrouver la mémoire et tout recommencer comme avant en tentant d’identifier la cause de son éboulement cérébral ou saisir l’opportunité (quand même angoissante) d’une opération pour se libérer, devenir quelqu’un de nouveau ?
Écrit par la réalisatrice et Judith Angerbauer, le scénario se révèle un jeu de construction complexe, plaçant toujours le spectateur dans le point de vue d’une protagoniste dans un état désorienté, flottant en quête d’une issue insaisissable, éclaircissant progressivement son être au fil des rencontres avec les personnages clés de son passé. En contrepoint se développe une passionnante immersion intellectuelle dans les rouages scientifiques de la stimulation cérébrale profonde. Un film donc à la fois atmosphérique et clinique, émotionnel et énigmatique, un mélange très singulier à la lisière parfois de l’opaque, sur ce territoire où les blessures enfouies résonnent au loin, troublant la surface. Ne cherchant pas à plaire (mais signant un très solide travail sonore et visuel, notamment sur les puissants paysages de Lanzarote), la cinéaste joue au détecteur sismique et s’aventure là où "l’esprit se souvient de ce que l’âme peut supporter". À l’image de Maret, cette immersion dans le malaise se révèle parfois un peu trop suggestive et décousue dans sa seconde partie, mais l’excellente ligne droite finale tranchera en faveur d’un film plutôt captivant et sans concession. Un vrai travail d’artiste.
Maret été produit par les Luxembourgeois de Red Lion et les Allemands de Red Balloon.
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