Critique : Elaha
par Fabien Lemercier
- Une jeune Allemande d’origine kurde se débat dans le vortex des traditions, du mariage et de la virginité dans le très bon premier long métrage de fiction de Milena Aboyan

"À un moment de ma vie, les autres me contrôlaient et je n’avais pas le courage de me défendre, ça m’a presque brisée jusqu’à ce que je me pose la bonne question : es-tu la femme que tu veux être ?" C’est au coeur de la trajectoire d’une jeune Allemande de 22 ans, prise en étau entre sa pleine modernité et le respect des traditions de sa famille d’origine kurde irakienne que Milena Aboyan a ancré Elaha, son très réussi premier long métrage, dévoilé à la Berlinale (dans la section Perspektive Deutsches Kino) et projeté au 24e Arras Film Festival au programme Découvertes européennes.
"Les dommages faits au troupeau sont une honte pour le berger." Elaha (Bayan Layla) connaît ses classiques et les dictons qui régissent le quotidien de sa communauté très soudée où tout le monde vit dans le même quartier, se connaît et se soutient, mais où l’honneur à préserver et la honte à éviter sont des valeurs cardinales, et les secrets extrêmement difficiles à garder. Jeune femme complètement de son temps, travaillant à temps partiel dans un pressing (tenue par sa future belle-soeur), suivant un cours d’accès à l’emploi au terme duquel elle pense passer le bac, et aimant s‘amuser avec ses amies Berivan (Cansu Leyan) et Dilan (Beritan Balcı), la jolie et vive Elaha, même si elle n’est pas toujours d’accord avec toutes les règles, respecte et apprécie les traditions kurdes, très heureuse dans sa famille où sa mère (Derya Durmaz) occupe une place prépondérante. Et tous les esprits sont tournés vers le mariage d’Elaha avec Nasim (Armin Wahedi), prévu dans neuf semaines. Tous les esprits et surtout celui d’Elaha car elle a un énorme problème à résoudre : elle n’est plus vierge. Elle se lance alors dans une quête secrète et de plus en plus désespérée pour trouver le moyen de reconstituer son hymen. Une recherche qui lui fait se poser de plus en plus de questions existentielles…
Porté par un jeune actrice principale charismatique et réussissant à donner une vraie identité à tous ses personnages secondaires, ce premier long métrage recèle de très nombreuses qualités dans sa manière intelligente d’aborder son sujet en évitant totalement le manichéisme (et la caricature d’une jeune femme prisonnière de traditions obscurantistes). Au contraire, la cinéaste (qui a aussi écrit le scénario) travaille dans la nuance et le respect des coutumes kurdes, ce qui donne d’autant plus d’acuité à son propos décliné en de nombreuses séquences bien rythmées et diversifiées sur le fil d’une intrigue qui sait surprendre. Tout n’est pas encore totalement parfait, mais Elaha, au-delà d’être un film très attachant qui tient en haleine, démontre clairement que Milena Aboyan est une réalisatrice à suivre de très près.
Produit par Kinescope Film et coproduit par Filmakademie Baden-Wüttemberg, Essence Film, SWR et Arte Deutschland, Elaha est vendu à l’international par Pluto Film et sortira le 23 novembre dans les salles allemandes avec Camino Filmverleih.
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