BLACK NIGHTS 2023 Critics' Picks
Critique : Lessons of Tolerance
par David Katz
- La comédie tournée dans un seul décor par Arkadiy Nepytaliuk montre une famille ukrainienne de la classe ouvrière qui essaie de se défaire de son homophobie et ses préjugés

Comment peut-on changer les coeurs et les esprits en direction de positions politiques différentes et d’attitudes plus saines par rapport au reste de la société ? L'approche doit-elle être la pédagogie traditionnelle, voire l'interventionnisme, ou le progrès est-il nécessairement graduel, s'opérant au fil des générations ? Lessons of Tolerance, le nouveau film d’Arkadiy Nepytaliuk, imagine un remède utopique et satirique à l'homophobie bien ancrée qui existe en Ukraine : un service "Commandez par téléphone un conseiller en justice sociale" permettant de faire venir chez soi ledit spécialiste, qui repartira 24 heures plus tard après avoir déprogrammé l’intolérance de tout le monde (et accordé une bourse à la famille en question, endettée et nécessiteuse). L'Union européenne, dans sa grande bonté, finance généreusement l’initiative. Le film, adapté d’une pièce de théâtre d’Ihor Bilyts, ce dont il n'essaie pas un seul instant de se cacher, optant pour une mise en scène bien délimitée, a fait sa première mondiale dans la section Critics' Picks du Festival Black Nights de Tallinn, après quoi il jouera à Cottbus.
Les sondages successifs auprès de la population ukrainienne révélant une grande hostilité par rapport aux droits de la communauté LGBT, surtout par rapport aux autres pays européens, et cette tension continuant d'être un problème clef dans la guerre sur quelle sera la culture dominante (malgré le fait que davantage de droits et libertés aient été accordés au parlement), les progressistes du monde politique doivent se demander comment faire survenir le changement (et le cinéma lui-même a eu un impact énorme sur la visibilité de la communauté gay et la tolérance dans l’ère post-SIDA). Nepytaliuk et sa coscénariste Ludmila Timoshenko empruntent un chemin spéculatif intéressant dans des conditions de laboratoire spécifiques : l'idée est de placer un individu gay communicatif au coeur d'un noyau d'opposition incarné par une famille, cellule où des changements de points de vue vont forcément survenir. Avec un regard en biais sur l'ardent désir d'une partie du pays d’être intégrée dans l'Europe (un schisme qui a partiellement causé l'éclatement de la guerre en cours), ceux qui font la législation savent bien que ces opérations requièrent des financements de provenance internationale. La satire proposée ici fait ressortir la vérité d'une approche distordue de ces projets civiques bien intentionnés.
La famille qui participe au programme n’est pas loin de faire figure de Simpsons ukrainiens. Cette famille nucléaire ultra stéréotypée se compose d'un père de la classe ouvrière, Zenyk (Oleksandr Yarema), d'une mère modèle, Nadia (Olena Uzlyuk), et de deux enfants adultes, Denys (Oleksandr Piskunov) et Diana (Karolina Mruha), qui reprennent les rôles de Bart et Lisa : l'un est un fainéant fini, l'autre aspire à devenir artiste de scène. Dans cette logique de sitcom, Vasyl (Akmal Gurezov), est leur opposé diamétral. Nepytaliuk cherche d'abord à réveiller le pathos et faire sentir cette tension, quand la famille accueille le nouveau venu en l'assaillant d'injures, mais très vite, elle s’attache à lui.
Lessons of Tolerance marque des points grâce à l'audace de sa prémisse, qui évoque les films caustiques de réalisateurs roumains comme Radu Jude et Cristi Puiu (si on plisse un peu les yeux), deux brillants chroniqueurs des changements abrupts vécus par l'Europe de l'Est post-communiste et de sa modernisation titubante. Cependant, au fil des dix vignettes qui composent le film, séparées par des cartons-titres (qui se moquent de la banalité d'entreprise de développement personnel façon "les 12 étapes de la guérison" de ces programmes – ce qu'on retrouve dans la petite balle anti-stress qu'utilise Vasyl comme accessoire lors des séances de discussion en groupe), la famille ne tarde pas à se rapprocher, et plusieurs révélations sexuelles s'opèrent, soudain exposées au grand jour. Si Lessons of Tolerance a raison de critiquer les manoeuvres paternalistes des institutions sociales, et leur condescendance par rapport aux gens ordinaires, le film avale aussi sa propre pillule satirique en présentant sans convaincre le problème comme facilement maté, résolu en quelques leçons et quelques embrassades.
Lessons of Tolerance a été produit par la société ukrainienne Solar Media Entertainment.
(Traduit de l'anglais)
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