Critique : 2G
par Giorgia Del Don
- Karim Sayad suit quatre anciens contrebandiers nigérians face à un quotidien où manquent les perspectives d'avenir, et saisit la poésie désespérée qui les accompagne

Le quatrième long-métrage du réalisateur suisse-algérien Karim Sayad, 2G [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film], tourné à Agadez, la plus grande ville au nord du Nigeria, dans le désert du Sahara, et projeté en première mondiale à l’IDFA dans la section Frontlight, est un film hypnotisant qui parvient à rendre compte des contradictions propres à un territoire qui a fait de la survie son credo. Baigné dans la lumière crépusculaire et fuyante du désert (très bien photographié par le réalisateur malgré les évidentes difficultés techniques), le film se concentre sur un groupe d’hommes, Ibrahim, son fils Abdelsalam, Daouda et El Bak, qui se retrouvent contraints, du fait de l’interdiction par le gouvernement de transporter les migrants clandestins à travers le désert, de trouver d’autres solutions pour survivre. Si le trafic d’êtres humains, que les sujets du film considéraient avec détachement comme une fatalité nécessaire, ne peut pas ne pas nous alarmer, les motivations qu’ils formulent et le peu d'alternatives auxquelles ils pourraient se raccrocher amènent à réfléchir à la réalité que ces hommes doivent affronter.
Sans juger, en essayant au contraire d’exposer les faits de manière objective, en laissant transparaître la complexité et l’ambiguïté de transactions commerciales cruellement banales, Sayad nous oblige à nous immerger dans un univers presque apocalyptique dominé par des contrastes de lumières qui imitent la violence des sentiments éprouvés par ses sujets. Reconvertis en téméraires chercheurs d'or et chauffeurs du désert prêts à tout pour livrer quelques sacs de pierre pulvérisée, Ibrahim, Abdelsalam, Daouda et El Bak dévoilent pudiquement leur vie à travers une voix off qui ne devient jamais redondante.
Si les traces de leur vie antérieure comme contrebandiers continuent d'imprégner leur quotidien (à cet égard, la scène où Ibrahim et son fils croisent, tandis qu’ils conduisent leur voiture cahotante, un petit fourgon à l’évidence surchargé de migrants est significative), désormais, ce qu'ils essaient de faire, c'est de survivre. Résignés à leur destin (que certains préfèrent à un exil qui n'offre aucune garantie), les anciens trafiquants se subdivisent alors en deux groupes : ceux qui se lancent, sans craindre rien ni personne sauf dieu, dans la quête d'or et ceux qui préfèrent opter pour une activité moins lucrative mais aussi moins risquée ("l'or te fait changer", dit un des personnages), à savoir le transport de marchandises dans le désert.
Dominé par des hommes, des automobiles englouties dans le sable qui virevolte autour d'elles comme un ballet, et une immensité vertigineuse où les lumières semblent provenir d’un autre monde, 2G est un film dont l'aura est à la fois sereine et cruelle, pragmatique et poétique. Comme les lumières dans le désert et les visages soudain mauvais et avides de ceux qui parviennent enfin à trouver de l'or, tout semble pouvoir changer du tout au tout en un instant.
La musique composée par Vuk Vukmanovic, de même que le morceau de conclusion de La Bataille d'Alger, des maestros Ennio Morricone et Bruno Nicolai, offrent au film des temps de respiration nécessaires. À travers des plans rapprochés sur les mains inquiètes et couvertes de poussière de ses personnages tandis qu'ils ajustent leur turban ou cherchent à comprendre capter le peu de réseau mobile dont ils disposent, Sayad transforme leurs gestes en chorégraphies ; il les allège et les libère de la fatigue du quotidien. Comme le plant de haricots que cultive dans le désert un des chercheurs d’or, les personnages de son film cherchent à survivre dans un lieu qui bien qu'hostile, reste tout de même, pour eux, celui où ils sont chez eux.
2G a été produit par Close Up Films avec la SRG SSR et la RTS Radio Télévision Suisse. Les ventes internationales du film sont assurées par Filmotor S.R.O.
(Traduit de l'italien)
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