Critique : White Flag
- Dans son deuxième long-métrage, le réalisateur suisse-mongol Batbayar Chogsom fait le jour sur la marginalisation de l'identité queer en Mongolie

Cinq ans après que son premier long-métrage, Out of Paradise [+lire aussi :
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interview : Batbayar Chogsom
fiche film], a fait sa première mondiale en compétition au Festival Black Nights de Tallinn.
White Flag débute par un plan extrêmement large montrant un homme en train de poursuivre une femme dans paysage de steppe autrement vide qui évoque vaguement la séquence d’ouverture du film qui a valu à Nikita Mikhalkov un Lion d'or, Urga (1991). Quand le détective venu de la ville Zorig (Samdanpurev Oyunsambuu) arrive dans une ville rurale pour enquêter sur la disparition récente d’un homme du coin, deux jeunes gardiennes de troupeau qui vivent ensemble deviennent rapidement ses suspectes de choix. Naran (Urtnasan Erdenebayar) et Saran (Erdenetsetseg Enkhbayar), dont les noms signifient respectivement "soleil" et "lune", font semblant d'être sœurs, mais on découvre vite qu'elles sont en couple. Au fil des visites de Zorig dans leur ger (qui diffère d’une yourte), on sait de moins en moins si ses visites sont professionnelles ou personnelles.
Cette prémisse intrigante, et le plan d’ouverture prometteur qui utilise formidablement l’espace négatif, piquent nettement l’intérêt du spectateur mais hélas, Batbayar (on se réfère ici au réalisateur par son prénom, compte tenu de l’utilisation spécifique que font les Mongols de leur patronyme) le laisse lui filer entre les doigts assez vite.
La musique instrumentale composée par Yukio Elien Lanz pour le film est plutôt bonne dans l'ensemble, sauf dans quelques scènes d'extérieur. Ces dernières consistent principalement en de larges travellings qui suivent sans se presser les personnages tandis qu’ils cheminent à cheval ou en moto, ainsi qu'en de longs plans fixes qui montrent les bêtes en train de paître et les oiseaux qui survolent ces terres poussiéreuses et presque nues. Ce décor si vaste, rendu par le chef opérateur Lukas Graf dans toute sa magnificence quoique de manière un peu schématique, semble accentuer les défauts du scénario, comme la façon trop directe dont les motivations des personnages sont présentées et le fait qu'elles n'en restent pas moins assez floues. Le récit au présent est parfois interrompu par des flashbacks (où des scènes urbaines sont juxtaposées avec des images calmes de la campagne, comme c’était le cas dans Out of Paradise) qui dévoilent la raison pour laquelle Naran ne peut pas avoir d’enfants et déteste la ville. Dans le présent, l’objectif des deux femmes est d’avoir un enfant, mais leur méthode pour le faire est aussi troublante que la réaction déroutante de Naran à un événement clef éprouvant qui survient plus tard dans le film.
Les moments censés rendre compte de l’intimité de Naran et Saran font l’effet de scènes qu'on a déjà vues mille fois, comme celle où elles se font des chatouilles, ou d'idées plaquées, comme quand elles prennent un bain ensemble dans une séquence soigneusement orchestrée qui s'appuie sur les gestes : un plan rasant montre un deel (costume traditionnel) tombant au sol, et elles entrent dans une petite baignoire ensemble, en même temps, face à face.
Dans les films de Batbayar, l’infidélité semble être un motif de fond constant. Le personnage principal de Out of Paradise passant la nuit avec une travailleuse du sexe et laissant sa femme enceinte seule dans la salle d’accouchement au même moment avait déjà de quoi rendre perplexe, mais dans White Flag, ce n'est pas un, pas deux, mais trois personnages qui ont une liaison. Bien qu'elles soient desservies par ces manies scénaristiques, on sent le potentiel qu'auraient Urtnasan et Erdenetsetseg pour livrer des interprétations plus riches en facettes.
L’intention de Batbayar de faire le jour sur la marginalisation de l’identité queer en Mongolie en réalisant le premier film queer du pays est certes louable, mais White Flag aurait mérité une approche plus adroite et délicate.
White Flag est une production entre la Mongolie, la Suisse et le Japon qui a réuni les efforts de Chogsom Film et Monkeyspice Inc.
(Traduit de l'anglais)
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