Critique : La carga
par Cristóbal Soage
- Miguel Eek nous emmène dans un gîte en pleine forêt où un groupe d'hommes adultes creusent les événements qui ont marqué leurs vies, dans l'idée de se construire une nouvelle masculinité

Nous vivons indéniablement des temps révolutionnaires. De vieilles idées qui paraissaient inscrites dans le marbre sont enfin considérées obsolètes et de nouvelles conceptions du monde, longtemps tenues au silence, réclament la place qui leur revient légitimement. Il est probable que la nouvelle vague féministe soit le phénomène le plus représentatif de cela : des millions de femmes élèvent la voix et osent s'exposer, corps et esprit, pour en finir avec les multiples violences auxquelles elles sont confrontées quotidiennement, et ce pour la seule raison qu'elles sont des femmes. juste pour cela, parce que tu n’es pas. Bien sûr, face à cela, il y a les hommes, certains un peu déconcertés, d'autres ouverts et disposés à participer au changement, d'autres encore fâchés et incapables de comprendre quoi que ce soit à ce qu'il se passe. La conquête des droits des femmes oblige les hommes à renoncer à beaucoup des privilèges qu'emporte la condition masculine, encore aujourd’hui, et elle les force aussi à quelque chose de plus transcendant et douloureux : remettre en cause le concept même de masculinité tel qu'on l'a inculqué à beaucoup d'entre nous, où la sensibilité, la tendresse et la vulnérabilité n'ont pas leur place. C'est à tout cela que se confrontent les personnages du documentaire La carga de Miguel Eek : un groupe d’hommes qui se retirent dans une maison de campagne pour participer toutes sortes de mises en situation, dans l'objectif d’exorciser le mâle alpha qu'ils portent tous en eux et de découvrir une autre manière d’être un homme.
La caméra d'Eek s'introduit dans l’intimité de ce groupe qui pendant plusieurs jours, enveloppé par la beauté de la forêt environnante, ose explorer les recoins les plus profonds de leurs âmes. À travers différents exercices qui peuvent sembler un peu bizarres au spectateur, chacun des sujets invoque des faits appartenant à son passé qui ont marqué sa manière d’être et de se rapporter à son entourage. Ainsi, en à peine plus d’une heure, on voit se dessiner un tableau de la masculinité qui est très éloigné des archétypes classiques. Dans ce film, il n’y a pas de place pour les valeureux héros ou les conquérants canailles : ici, il n’y a que des hommes de chair et de sang qui se défont de toutes les conventions sociales sur la masculinité pour dévoiler les épisodes les plus traumatisants de leurs vies. Leurs témoignages sont durs, des thèmes comme l’abandon par le père ou les abus sexuels sont abordés, et il est émouvant de voir ces hommes se consoler les uns les autres, s'écouter et se comprendre. Ensemble, ils construisent un espace sûr où la vulnérabilité est une qualité souhaitée et non un signe de faiblesse dont on peut se moquer.
Le film parvient à nous immerger dans cet espace insolite où ces hommes se mettent à nu, émotionnellement et physiquement, sans jamais être intrusif. Les personnages se comportent comme si personne ne les observait ; ils s'ouvrent totalement sans crainte apparente d’être jugés par les futurs spectateurs de leur travail de transformation, un travail qui est beau, mais également douloureux et inconfortable. Les émotions dont déborde La carga sont intenses et contradictoires : on est frustrés de constater combien les blessures de certains des personnages sont profondes, mais on sent aussi beaucoup d'espoir à voir avec quelle sensibilité ils s'écoutent et se soutiennent entre eux. Loin des bonshommes orgueilleux et belliqueux que le cinéma nous a montrés si souvent, ils se montrent proches entre eux physiquement, parfois sensuellement, tout cela pour bâtir des relations où le respect et l’amour prennent la place de la compétitivité absurde et de la violence cruelle.
La carga a été produit par Mosaic Producciones. Il sera distribué en Espagne par Filmin.
(Traduit de l'espagnol)
Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.