Critique : Under a Blue Sun
par David Katz
- Dans l'essai documentaire de Daniel Mann, le tournage de Rambo III en Israël, dans le désert du Néguev, est présenté comme une couverture pour des opérations de dépossession de territoires

Dans les discussions actuelles sur la guerre, une notion centrale revient : celle de "guerre des images". Ce conflit humain à grande échelle se déploie aussi dans les domaines plus abstraits de la représentation par les médias et du tour qu’on donne aux choses. C'est une phénomène bien plus avancé qu’une simple bataille propagandiste, ce qui prenait jadis la forme d'actualités cinématographiques et de films. Les chercheurs et observateurs de ce champ nouvellement ouvert à la théorisation semblent particulièrement excités par la manière dont les discours issus de la culture populaire contribuent à cela, de même que d’autres sources médiatiques diverses et variées dont le sens latent ou conscient peut être analysé.
À partir d'images d’archives faisant partie du matériel promotionnel de Rambo III où Sylvester Stallone égrène ses impressions sur cette grosse production de sa manière inimitable d'attachant balourd, Under a Blue Sun de Daniel Mann, qui vient de faire sa première mondiale dans la compétition Tiger du Festival de Rotterdam, s'inscrit nettement dans ce nouveau champ d’enquête. C'est qu'en 1987, les producteurs du troisième volet de la saga Rambo ont décidé de tourner dans le désert du Néguev, censé représenter les collines afghanes où le mercenaire costaud incarné par Sly devait aider les moudjahidine à résister à l’invasion soviétique. Ici, Mann démontre clairement l'importante signification symbolique de ce choix et le pose comme exemple caractéristique du fait que le colonialisme de peuplement a pour pilier le déplacement géographique des autochtones.
Under a Blue Sun procède en usant de deux modalités cinématographiques principales, l’une amenant à l'autre. Mann commence par illustrer l'idée de départ qu'il a présentée à travers une imagerie familière proche de l'art vidéo : des plans d’extérieur de Rambo III apparaissent superposés aux mêmes lieux du Néguev aujourd'hui et on voit des tableaux de lieux de tournage vides, comme un studio d’accessoires, dans des compositions statiques à large profondeur de champ additionnées d'autres manipulations de l’image, par exemple des volutes de fumée rouge qui se déploient lentement, comme si une machine à glace carbonique de concert de heavy metal avait été intégrée à une installation de galerie d'art. Cependant, c’est une sorte de cheval de Troie qui permet à Mann de proposer ensuite des images plus traditionnellement informatives sur la population bédouine du Néguev et leur statut compliqué dans l’Israël moderne, une situation semblable a celle d'autres populations arabes colonisées du pays invitant à une comparaison pour le moins brûlante d'actualité.
Le Néguev représentant 60 % du territoire israélien contesté, les détenteurs du pouvoir du pays ont toujours utilisé, depuis sa création, ce désert comme une vaste toile où déployer leur propagande et leurs efforts de construction. De leur côté, les Bédouins déplacés après 1948 subissent d’autres persécutions encore et ne sont pas, pour reprendre les mots du film, "raccordés aux infrastructures" qui leur permettraient d'avoir l’eau et l’électricité dans leurs domiciles actuels, couverts d'aluminium pour ne pas être détectés. Avec l’assurance rhétorique liée à son activité de professeur de cinéma de jour, Mann dépeint honorablement les Israéliens comme les impitoyables guerriers de la propagande qu'on les accuse souvent d'être, tout en restant aussi conscient que ses critiques du fait que les riches associations d'idées autour du Néguev peuvent être déformées pour en faire un terrible fantôme fictif de lui-même. Cependant, comme toujours avec ces critiques postmodernes, on peut aussi être sceptique quant aux dangers et aux victimes supposés de la guerre visuelle, dont les conséquences restent hypothétiques et discutables par rapport à des preuves tangibles et empiriques recueillies sur le terrain, aussi compliquées à évaluer qu'elles puissent être elles-mêmes.
Under a Blue Sun est un film franco-israélien qui a réuni les efforts d'Acqua Alta, La Bête et Laila Films.
(Traduit de l'anglais)
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