Critique : Formosa Beach
par Olivia Popp
- Dans son premier long-métrage, Julia De Simone interroge de manière inventive l'histoire coloniale du Portugal au Brésil à travers une fiction expérimentale informée par un fond documentaire

Vue en plan d'ensemble, à travers une brume épaisse laissant apparaître son urbanisme irrégulier, la ville de Rio de Janeiro semble désolée et grise, produit d’une modernité dont le moteur est le continuel progrès. Du sol pointent des bâtiments neufs autour de quartiers où se sont établies plusieurs communautés diasporiques. Et puis d'un coup, du ciel, on voit la baie de Rio soudain submergée par une vague sublime et massive qui détruit tout sur son chemin. On apprend plus tard que c’est le port où accostaient les bateaux transportant des esclaves, un lieu qui porte en lui des siècles de violence, à présent anéanti.
Voici l’ouverture spéculative de Formosa Beach [+lire aussi :
interview : Julia De Simone
fiche film], le premier long-métrage de la Brésilienne Julia De Simone, qui vient de faire sa première dans le cadre de la compétition Tiger de l'IFFR. Avec les deux courts-métrages documentaires The Harbor et Rapacity, ce film fait partie d'une trilogie sur les histoires coloniales de Rio de Janeiro. Bien que l’histoire évolue librement à travers le temps et l’espace, Formosa Beach sur un personnage en particulier, Muanza (Lucília Raimundo), amenée au XIXe siècle du royaume ouest-africain du Congo jusqu'au Brésil comme esclave. Après s’être échappée de la maison où elle était retenue, elle se retrouve dans le Rio d'aujourd'hui et erre dans les rues en essayant prudemment de comprendre ce nouveau Brésil.
Jouant fortement de la linéarité et la continuité, la réalisatrice compose un récit assez expérimental, sans perdre de vue ses thèmes principaux. Formosa Beach s'inscrit brillamment dans le champ du cinéma de résistance, et fait ployer les formes comme les codes habituels pour explorer des histoires d’effacement, ainsi que des possibilités pour un futur émancipateur. Bien que le film se présente comme une fiction, la manière dont Julia De Simone fouille son sujet renvoie à son parcours de documentariste. Elle intègre aussi des images de style documentaire pour examiner les marques très présentes de l'esclavage dans le Rio d'aujourd'hui et fait au passage référence au rôle de la religion dans la sombre histoire du Portugal.
Très tôt dans le film, Muanza rencontre une jeune fille portant des vêtements tie-dye, captant l'attention du spectateur et faisant déjà passer à travers cela le type de langage narratif que va adopter le film. Des changements dans le décor de la chambre du propriétaire de l’esclave, qui passe, d'une scène à l'autre, de décati à richement garni, indiquent avec inventivité combien le complexe colonial est chancelant. L'héroïne, qui devient narratrice dans certaines petites portions du film, imagine un futur où nulle terre ni nul être ne peuvent être conquis. Elle propose de rencontrer Kieza, une autre esclave qu’elle a rencontrée pendant le voyage de l'Afrique au Brésil, à Praia Formosa (litt. "belle plage"), dont on apprend plus tard que c’est un point de transit dans le Rio contemporain.
Muanza se voit attribuer le nom portugais de Domingas par sa "noble dame", qui attend tous les jours que son mari revienne au Brésil. Chaque fois qu'elle s'entend appeler par ce nom, c'est comme une gifle en pleine face – la violence étant en grande partie infligée par la suppression des noms et des histoires. Des plans longs, statiques ou lents, sur la maison coloniale la montre comme un lieu d'habitation et d'occupation où Muanza est enfermée. La réalisatrice joue aussi avec le motif de la pluie et de l'eau comme libératrices, de l'image rêvée de la baie inondée aux moments de liberté de l'héroïne, ponctués par des averses virulentes.
Si le film est par moments cryptique, l'approche cinématographique de Julia De Simone permet d'échapper aux limites que posent le temps et l'espace, deux paradigmes que les pouvoirs coloniaux et impériaux ont cherché à contrôler. Avec témérité, elle proclame que passé et présent sont enchevêtrés, et que les lieux sont porteurs de significations et d'histoires que nous avons le devoir de ne jamais oublier.
Formosa Beach a été coproduit par Anavilhana Filmes (Brésil), Mirada Filmes (Brésil) et Uma Pedra no Sapato (Portugal), qui s’occupe aussi de ses ventes internationales.
(Traduit de l'anglais)
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