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BERLINALE 2024 Forum

Critique : Mother and Daughter, or the Night Is Never Complete

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- BERLINALE 2024 : Ce documentaire de Lana Gogoberidze, co-réalisé par sa fille Salomé Alexi, est un récit personnel émouvant sur un clan familial unique réunissant plusieurs réalisatrices

Critique : Mother and Daughter, or the Night Is Never Complete

Une mère est séparée de force de sa fillette, ainsi que de sa vocation artistique, pour être jetée, alors qu’elle est innocente, dans un goulag soviétique pendant les grandes purges staliniennes. Sa fille trouve une manière de renouer avec elle à travers le cinéma et transmet sa passion artistique à sa fille également.

Ceci n’est que l’armature simplifiée de l’histoire tragique, mais également fascinante et vivifiante, de trois générations de réalisatrices géorgiennes : la toute première cinéaste de sexe féminin de Géorgie, Nutsa Gogoberidze, sa fille Lana, qui assure, d'une voix profonde et veloutée, la narration du documentaire, et la fille de cette dernière, Salomé, qui a produit et co-réalisé le film aux côtés de sa mère, à présent âgée de 94 ans. Ce n’est que lors d'une présentation, au MoMA, des chefs-d’œuvre du cinéma muet de Nutsa, Buba (1930) et Uzhmuri (1934), récemment repêchés des archives, que ses héritières se sont rendu compte qu’elles étaient le seul exemple de dynastie de réalisatrices s'étalant sur trois générations de toute l’histoire du cinéma, ce qui ajoute une valeur factuelle supplémentaire aux chroniques dévoilées par ce film. Après avoir été projeté en Géorgie fin 2023, Mother and Daughter, or the Night Is Never Complete vient de faire sa première internationale dans la section Forum Special de la Berlinale.

En soulignant d'entrée de jeu le motif récurrent de la rencontre et de la séparation, Gogoberidze se lance dans un difficile parcours de reprise de contact avec sa mère, après une décennie séparées qui coïncide avec ses années de formation, mais au lieu de désigner des coupables à cette circonstance dramatique de leur vie à toutes les deux, elle se concentre sur la signification profonde de leur éloignement : tout se passe comme si la petite fille devait être séparée de sa mère pour sentir le besoin de tourner un film. Pour ceux qui connaissent bien la filmographie de Lana Gogoberidze, une toute nouvelle interprétation de ses travaux en découle, intimement liée à la relation qu’elle avait avec sa mère, de près et de loin. Le documentaire met en évidence des connexions entre des épisodes clefs de films comme Quelques interviews sur des questions personnelles (1978) et The Waltz on the Pechora (1992) et de véritables événements biographiques, ainsi que des coïncidences entre le contenu de leurs films à toutes deux, intuitivement intégrées par Lana avant même qu'elle n'ait la chance de voir le travail de sa mère. La palette variée des personnages féminins forts dans les films de Gogoberidze en voit sa dimension réaliste accrue d'autant, en enchevêtrant ainsi des éléments des travaux de la mère et de la fille, toutes deux élevées dans un esprit d'émancipation et de solidarité féminine.

L'éventail varié des matériels utilisés, qui comprennent des photos de famille, des images des travaux de Nutsa et des images nouvellement tournées, le tout organisé en chapitres, est manié avec une aise étonnante, de sorte que malgré la texture complexe du film, c'est la profondeur émotionnelle qui prime toujours. Au-delà de la révélation des parcours de vie turbulents de la mère comme la fille et des extraits impressionnants retenus par un montage joueur, ce qui captive réellement ici, c’est l’atmosphère chaleureuse de plaisir de faire les choses ensemble dans laquelle les trois générations de réalisatrices ont existé et travaillé. Gogoberidze, toujours entourée d’amis bohèmes et d'artistes et d’intellectuels (initialement dans la légendaire "chambre bleue" de la maison natale de Lana), avait un esprit indomptable qui se dégage de toutes les maisons et tous les environnements qu'elle a habités, tout comme de l'écran de ce film. À l'instar de tous les travaux précédents de Gogoberidze, celui-ci transmet un sentiment d'espoir inextinguible, et vous laisse sur les vers de Paul Éluard empruntés pour le titre, récités par la réalisatrice allemande : "La nuit n’est jamais complète. / Il y a toujours puisque je le dis, / puisque je l’affirme, / au bout du chagrin, / une fenêtre ouverte, / une fenêtre éclairée".

Mother and Daughter, or the Night Is Never Complete a été produit par la société géorgienne 3003 Film Production en coproduction avec la française Manuel Cam.

(Traduit de l'anglais)

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