17/02/2024 - BERLINALE 2024 : Mamadou Dia traite de la santé mentale et de la manière dont on la perçoit en adoptant une approche stylistique particulière qui sert le film autant qu’il lui fait du tort

Après avoir gagné le prix du Meilleur Premier Film à Locarno en 2019 avec Nafi's Father, le réalisateur sénégalais Mamadou Dia arrive dans la section Encounters de la Berlinale avec son nouveau film, Demba, qui se déroule également dans sa ville natale de Matam, au nord du pays. Le film traite surtout du sujet de la santé mentale, que le réalisateur adresse en mélangeant réalité, souvenirs, flashback et délusions, jusqu’à créer de la confusion. Le résultat est un film simultanément impressionnant du point de vue du style, mais manquant de clarté narrative. 

Le personnage titre, joué par Ben Mahmoud Mbow, est un employé de la mairie d’âge moyen, qui est en train de se faire virer après 27 ans de service. Le maire, ami d’enfance de Demba, dit que cette décision est une conséquence de leur projet de digitalisation, qui est censé simplifier les procédures bureaucratiques, rendant notre héro redondant. Mais rumeur court que la vraie raison est sa nature difficile - une théorie apparemment partagée par son fils, Bajjo (Mamadou Syla), dont il est éloigné.

Mbow interprète Demba avec une combinaison naturaliste et intense de désespoir, de frénésie et de colère. Une présence forte, l’acteur est souvent capturé par le directeur de photographie Sheldon Chau dans des reflets de miroirs ou à travers des fenêtres, indiquant clairement l’esprit de plus en plus fracturé de Demba. Luttant pour sa santé mentale, Demba tente de se rapprocher de Bajjo, qui travaille dans un cybercafé et qui, dans un premier temps, rejette son père. Mais c’est finalement Oumy (Aicha Talla), la petite amie du jeune homme, qui les aide à reconnecter. 

Alors que la santé mentale de Demba se détériore, l’histoire elle-même devient de plus en plus difficile à suivre. Au départ, la cinématographie et la balance des couleurs montrent un démarcation claire entre la réalité et l’état d’esprit de Demba, mais il y a aussi des flashbacks de son passé avec sa femme, qui semblent suggérer soit de la confusion dans ses souvenirs, soit un sentiment de culpabilité. Ce pourrait-il que le film traite aussi du sujet de la rédemption ?

À travers le film, les couleurs sont vives et le contraste fort, créant une atmosphère intense, tandis que les moments “non-réels” ont une qualité brumeuse, soulignée par la musique et la conception sonore. Mais alors que ces techniques deviennent de plus en plus entremêlées, le spectateur commence à douter de ce qu’il ou elle voit. Quelques éléments narratifs semblent annoncer certains événements ou faire allusion au passé de Demba, brouillant davantage les frontières entre ces différents niveaux. 

Si le but de Dia était de nous immerger dans le monde intérieur douloureusement fracturé de son héros, il a certainement réussi. Dans le dossier de presse, il mentionne que sa langue natale n’a même pas de mot pour la dépression, et il est donc facile d’imaginer comment l’état d’esprit de Demba est perçu dans sa communauté. Le film contient aussi des scènes hallucinatoires et parfois effrayantes faisant référence à des coutumes locales anciennes qui seront mystérieuses pour la plupart des spectateurs internationaux. En principe, l'expérience de l’audience ferait donc miroir au manque de compréhension des autres personnages envers la souffrance de Demba — mais il est possible que l’approche narrative du film ait aliénés les spectateurs avant même qu’ils puissent atteindre cette conclusion. Mbow est un acteur convaincant, et sa représentation dévouée de la douleur et de l’anxiété est un triomphe, mais il pourrait être difficile d’attendre des spectateurs qu’ils restent avec lui après avoir perdu le fil de l’histoire. 

Demba est une coproduction entre Joyedidi du Sénégal et NiKo Film de l’Allemagne. La compagnie The Party Film Sales, basée à Paris, est chargée des droits internationaux. 

(Traduit de l'anglais)