email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

BERLINALE 2024 Panorama

Critique : No Other Land

par 

- BERLINALE 2024 : Basel Adra, Hamdan Ballal, Yuval Abraham et Rachel Szor signent un premier documentaire émouvant et intime sur l'expulsion des Palestiniens de leurs villages ancestraux en Cisjordanie

Critique : No Other Land

La plume est plus forte que l'épée, dit-on. Quant à savoir si l'aphorisme trouve des échos dans le monde d’aujourd’hui, c’est une autre question. La force de la caméra face à l'arme à feu est de nouveau interrogée dans le documentaire No Other Land [+lire aussi :
interview : Basel Adra, Yuval Abraham
fiche film
]
, réalisé par un collectif israélo-palestinien, qui vient de faire sa première mondiale dans la section Panorama du 74e Festival de Berlin.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

No Other Land est le fruit d’une collaboration entre deux Palestiniens, l’avocat et journaliste Basel Adra et le fermier Hamdan Ballal, et deux Israéliens, le journaliste d’investigation Yuval Abraham et la cheffe opératrice Rachel Szor, tous quatre cités au générique comme réalisateurs et monteurs. Basel et Yuval (auquel on se réfère par leur prénom dans le film) sont aussi des sujets centraux du film, tandis que Ballal ne fait que quelques apparitions, mémorables, comme le sceptique du groupe : "Ah, t'es un Israélien défenseur des 'droits humains' ?", envoie Ballal en riant la première fois qu'il rencontre Yuval

No Other Land est tout aussi spécifique qu’il est généralisable à d’autres cas contemporains de domination structurelle dans le tableau qu'il dresse de l’impuissance ressentie dans un État répressif. Le film ne traite pas directement du dernier conflit en date entre Israël et le Hamas, mais documente le déplacement forcé de Palestiniens à Masafer Yatta, en Cisjordanie, une zone qui réunit plusieurs villages ruraux. Le fil rouge central est déroulé autour de la relation de travail entre Yuval et Basel, dont la proximité et la confiance, bâties au fil d'années de collaboration, apparaissent à travers leurs gestes affectueux et leurs conversations profondes. Et pourtant, même entre eux, il y a inévitablement une cloison, érigée par la dynamique du pouvoir dans le système où ils vivent, qui établit la liberté de mouvement complète de Yuval, et le confinement absolu de Basel.

Dès le début, on ne peut détourner le regard des images que présente le collectif. Le spectateur est d'emblée témoin de la destruction de maisons de béton, tandis qu'on entend les cris des familles palestiniennes qui demandent pourquoi l’État israélien commet un tel acte. Le film trouve son méchant en l’homme chargé d'exécuter les expulsions, qu'on ne connaît que sous le nom d'Ilan. Pendant qu'il joue les justiciers d'État, il porte nonchalamment des lunettes de soleil réfléchissantes et un T-shirt en matière technique absorbant l'humidité, un accoutrement qui est un parfait exemple d'une certaine banalité du mal. No Other Land devient un film coup de poing qui frappe sans discontinuer, et les images terrifiantes qu'on voit ne perdent jamais rien de leur impact. Ilan pourrait porter un costume de clown et continuer d’avoir la capacité absolue de décimer chaque foyer construit et reconstruit à Masafer Yatta. Le spectateur en est par moments tellement submergé qu'il développe un sentiment de futilité totale : sommes-nous tous vraiment aussi impuissants ?

La crudité fondamentale des images que propose le film est mise en perspective dans une séquence qui vient vers la fin : une brève visite de journalistes étrangers qui finissent par sembler invasifs, creux et déconnectés de la réalité palestinienne. Un équipement vidéo professionnel et une interview avec une mère en deuil n’ont aucun poids face au téléphone de Basel et Yuval et aux images filmées caméscope au coeur du conflit, où la caméra va jusqu'en face même des visages de la police militaire, d'une manière ouvertement agressive qui ne laisse aucun doute sur sa subjectivité. Ces caméras "amateurs" saisissent de la manière la plus dynamique qui soit ce que vivent les opprimés quand les deux militants fuient les autorités (tout en filmant, les téléphones sont perdus lors d'altercations physiques, puis récupérés ensuite).

No Other Land excelle avant tout quand il arrive à cette mobilité cinématographique, quand la caméra se fait le prolongement de ce questionnement militant sur la violente occupation par les Israéliens, et non observateur détaché. Quand le film s'achève, l'impuissance exprimée est presque tangible, mais les auteurs offrent une lueur d’espoir à travers cet acte transnational de solidarité et de résistance.

No Other Land est un film palestinien-norvégien qui a réuni les efforts de Yabayay Media et Antipode Films.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

(Traduit de l'anglais)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Privacy Policy