22/02/2024 - BERLINALE 2024 : Immersion dans la mouvance zadiste ancrée à Notre-Dame-des-Landes pour un hypnotique documentaire aux partis-pris artistiques radicaux signé Ben Russell et Guillaume Cailleau

"Je fais usage de mon droit au silence". Il était une fois un territoire de 1 650 hectares situé à l’Ouest de la France, où un projet d’aéroport cristallisa l’opposition de groupes très composites (des agriculteurs aux anarchistes, des écologistes aux altermondialistes) qui s‘installèrent sur place et y créèrent en 2009 la ZAD (Zone À Défendre) de Notre-Dame-des-Landes. Après des années de conflits ultra-médiatisés avec le gouvernement et de multiples affrontements avec les forces de l’ordre, le projet d’aéroport fut finalement abandonné et la ZAD (violemment) évacuée en 2018. Mais plus de 150 personnes y vivent encore, ayant développé des activités agricoles et une micro-économie solidaire, mais aussi un espace de ralliement pour accueillir d’autres luttes comme celle du mouvement écologistes radical des Soulèvements de la Terre, récemment sous les feux des projecteurs avec les manifestations (ayant tourné à la confrontation) contre les "mégabassines" de Sainte-Soline suivies d’une dissolution du collectif  par le ministère de l’Intérieur ayant finalement été retoquée par le Conseil d’État.

C’est au cœur du quotidien de cette ZAD (ou tout du moins de sa partie politiquement visible afin de préserver l’anonymat des activistes) que le cinéaste américain Ben Russell (connu notamment pour Un sort pour éloigner les ténèbres [+lire aussi :
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fiche film], découverts à Locarno en 2013 et 2017) et son homologue français Guillaume Cailleau (qui signe là son premier long) se sont installés en 2022 et 2023 pour le fascinant documentaire Direct Action, dévoilé dans le compétition Encounters de la 74e Berlinale. Un film évidemment engagé ("donne-moi ta main, camarade. Prête-moi ton cœur, compagnon. Nous referons les barricades"), mais prenant habilement et très artistiquement le contrepied de l’esthétique du reportage racoleur sur les tensions extrêmes des face-à-face avec la police (néanmoins abordés dans le prologue et dans une ébouriffante dernière ligne droite).

C’est en effet de l’intérieur et au rythme paisible de la nature que le documentaire se déploie à travers de très longs plans fixes (fluidifiés par le très beau sens du cadre de Ben Russell à la caméra) détaillant les actions et les gestes quotidiens les plus prosaïques des habitants de la ZAD. Une vingtaine de tableaux hypnotiques qui vont de la scierie au pétrissage de la farine, du labourage (avec les chevaux) au travail de la forge, des soins méticuleux aux graines et mauvaises herbes au convoyage des vaches et des veaux dans les prairies, de l’affutage des chaînes de tronçonneuse à un ballet de crêpières, d’un repas de moutons à une interprétation virtuose au piano, d’un anniversaire d’enfants à une enregistrement de rap politique, d’une fête fiévreuse dansante à une partie d’échecs, du survol de la zone en drone aux stratégies des actions militantes à venir.

L’ensemble réclame un minimum (voire davantage) de patience (le film dure 216 minutes), mais se révèle une magnétisante approche cinématographique de la diversité et de l’identité profonde d’un noyau d’activistes vivant en accord (et en action) avec leur pensée. Une existence exigeante en concentration, imagination et mémoire (la Catalogne de 1936 est évoquée), une phalanstère à la Thoreau à laquelle le film rend un très bel hommage certes unilatéral mais qui est surtout en lui-même un geste artistique original parfaitement raccord avec son sujet, comme une vigie façonnant son propre espace-temps.

Produit par la société allemande Cask Films avec la société française Volte Film, Direct Action est vendu à l’international par Shellac.