Critique : Teaches of Peaches
par Savina Petkova
- BERLINALE 2024 : Philipp Fussenegger et Judy Landkammer s'associent pour documenter la tournée anniversaire de l'icône canadienne du titre

L’artiste canadienne Merrill Nisker, plus connue sous son nom de scène, Peaches, a certainement aidé à façonner la musique telle qu’on la connaît aujourd’hui. La carrière de Peaches a commencé dans les années 1990 au Canada, dans deux groupes puis à travers un album solo, mais ce n’est qu'après qu'un cancer lui ait donné envie de tout recommencer à neuf qu’elle a déménagé à Berlin. Très vite, elle a signé avec le label d'électroclash indépendant Kitty-Yo et lancé l’album, désormais iconique, The Teaches of Peaches (2000). La mélodie ravissante de son titre ne rend pas à lui seul justice à l’impact qu’il a eu depuis sur la musique pop, électro et expérimentale – en termes de composition, de paroles et de performance. Peaches n'est pas une pop star comme les autres ; elle ne l’a jamais été et ne le sera jamais. On peut de fait se demander comment un documentaire assez conventionnel pourrait rendre compte de toute l'extravagance et l'énergie artistique dont elle déborde. Celui de Philipp Fussenegger (I Am the Tigress, Henry) et Judy Landkammer (la monteuse de Bruce LaBruce), Teaches of Peaches [+lire aussi :
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Ce travail fait l'effet de sortir tout juste d'un concert, d'autant qu'il a été réalisé pendant la tournée anniversaire de The Teaches of Peaches et présente la chronologie de la carrière de l’artiste, des années 1990 à aujourd'hui, parallèlement au déroulement de la tournée. Mais c'est quoi, finalement, un portrait d’artiste au travail ? Des enregistrements de concert en 4K, des images d’archives en VHS, des travellings dans les coulisses des concerts où l'on voit les coiffures, les costumes et les maquillages, et plusieurs têtes parlantes. Les collaborateurs et amis de Peaches Leslie Feist, Chilly Gonzales et Shirley Manson (de Garbage) interviennent tous pour parler de leur histoire commune avec l’auteure-compositrice-interprète, de leurs relations au travail et dans la vie et du fait que pour eux, l'influence de Peaches va au-delà de la musique elle-même.
Peaches évoque sans détours son évolution artistique et personnelle, de même que ses amis, mais si le film dédie une grande partie de sa durée à la genèse de l’album de 2000, on a le sentiment que quelque chose manque. À chaque fois qu’on peut se concentrer sur l’écriture et sur les représentations, souvent gender fluid par nature, le documentaire devient passionnant et positionne le travail de Peaches comme une célébration de la douleur, de la joie et de la destruction. Hélas, à chaque fois que le film tente de montrer "la femme derrière l'artiste", il échoue nécessairement, car Peaches elle-même est déjà singulière et contient tout ce qu'elle est : sa musique est si cinglante de sincérité que l’idée qu’une scission existe entre son personnage de star et sa "vraie" personne doit être reconsidérée. Le documentaire contourne avec agilité les questions de sexualité et d'identité, mais il arrive à peine à feindre un intérêt pour les préférences sexuelles de l’artiste. Pour le dire simplement, ça n’a pas d’importance.
En parlant aussi ouvertement de la manière dont elle s'est mise à faire de la musique dans le cadre d'une démarche de réinvention de soi-même, Peaches rend impossible, pour n’importe quel film qui lui serait dédié, de faire dans le sensationnalisme. De fait, Teaches of Peaches nie et donc transcende son propre sous-genre, le "docu-oraison". Peaches a été une des rares musiciennes de sexe féminin dont les paroles, à l’époque, évoquaient directement le sexe et qui a fait de corps nus (ainsi que de costumes sophistiqués fabriqués avec des cheveux), le sien compris, des parties intégrantes de la scénographie. L’esthétique "c’est affreux, j’adore !" domine ; sa force subversive caractérise Peaches depuis plus de deux décennies maintenant, de sorte qu'on comprend mal comment une influence aussi forte a pu ne pas transpirer sur l'approche formelle du film. Ceci étant dit, quiconque a l'occasion de passer deux heures avec Peaches (et ce documentaire) peut se considérer chanceux d'entendre ce qu'elle a à nous apprendre.
Teaches of Peaches a été produit par la société allemande Avanti Media Fiction. Les ventes internationales du film sont gérées par Magnetfilm.
(Traduit de l'anglais)
Galerie de photo 21/02/2024 : Berlinale 2024 - Teaches of Peaches
8 photos disponibles ici. Faire glisser vers la gauche ou la droite pour toutes les voir.



© 2024 Dario Caruso for Cineuropa - dario-caruso.fr, @studio.photo.dar, Dario Caruso
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