18/12/2023 - Benjamin Pfohl surprend avec un premier long captivant et astucieusement mené sur une jeune fille embarquée par ses parents dans une très inquiétante communauté

Mariella Aumann, Andreas Döhler et Laura Tonke dans Jupiter

"Vous devriez donner à Lea la chance de vivre une vie heureuse et normale." C’est un classique de voir une adolescente hésiter entre l’obéissance au mode de vie de ses parents et une volonté naturelle d’émancipation, mais quand la famille navigue en plus dans une ambiance sectaire post-apocalyptique, le dilemme prend des proportions particulièrement aigues, voire vitales. Tel est la trame de Jupiter [+lire aussi :
interview : Benjamin Pfohl
fiche film], le surprenant et palpitant premier long de l’Allemand Benjamin Pfohl, dévoilé à Zurich et projeté dans la section Playtime du 15e Les Arcs Film Festival.

"Cette planète était un écosystème en parfaite harmonie et aujourd’hui, nous sommes témoins de toutes sortes de symptômes de rejet : ouragans, inondations, feux incontrôlables. Nous faisons fondre ses pôles, nous réchauffons son air, nous détruisons l’atmosphère qui la protège. Ce monde ne nous supporte plus." À ce discours, beaucoup pourraient adhérer, le simple bon sens permettant de constater actuellement les preuves tangibles d’un dérèglement climatique à grande échelle par ailleurs extrêmement bien documenté scientifiquement. Mais de là à croire dur comme fer que les humains sont issus de Jupiter et que la Terre n’est qu’une colonie, il y a un immense chemin mental à parcourir. Tel est pourtant le cas des parents (Laura Tonke et Andreas Döhler) de l’adolescente Lea (Mariella Aumann) et de son jeune frère autiste Paul (Henry Kofahl).

Comment en sont-ils arrivés là ? C’est ce que le film nous racontera à travers une construction très habile en flash-back alors que dans le temps présent, c’est un mystérieux compte à rebours qui s‘engage, la famille partant pour ce qui ne semble à priori qu’un nouveau week-end dans une communauté très isolée dans la nature, un groupe soudé et extatique dirigé par un gourou charismatique (Ulrich Matthes) et qui s’est réuni à cause du passage prévu très près de la Terre de la comète Calypso. Mais si Lea, qui a été exfiltrée d’une fête pour l’occasion, partage totalement le credo astronomico-mystique de la secte et un amour profond pour sa famille, elle n’en pense pas moins à ses amies, à ses études, à l’amour peut-être, à son portable, à tout ce quoi une jeune adolescente aspire. Jusqu’où obéira-t-elle à la doxa adoptée par ses parents ? Et que se prépare-t-il exactement au cœur de la communauté ?

Le sujet sectaire n’est pas neuf (des Éblouis [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film] à Midnight Special pour ne citer que deux exemples de traitement très différents), mais Benjamin Pfohl et sa co-scénariste Silvia Wolkan l’abordent avec beaucoup d’intelligence. Ancrant l’anormal dans une dimension très normale, celle d’une famille lambda en butte aux grandes difficultés d’élever un enfant autiste et dont le désespoir va se faire aspirer par les problématiques écologiques plus vastes de notre époque, le film décrypte de manière très concrète le parcours d’un (auto)endoctrinement plein de bonnes intentions. Et en plaçant en témoin principal une attachante adolescente prise dans un conflit de loyauté, le récit génère un suspense très prenant dont les ingrédients s’additionnent progressivement avec une belle maîtrise du dévoilement suggestif. Autant de qualités qui font de Jupiter, à l’évidence un long métrage qui n’était pas doté de grands moyens de production, une très belle surprise et de Benjamin Pfohl un cinéaste dont on attendra le prochain opus avec beaucoup de curiosité.

Jupiter a été produit par Dreifilm et coproduit par ZDF - Das kleine Fernsehspiel, et sera distribué en Allemagne par missingFilms.