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TRIESTE 2024

Critique : 1489

par 

- Shoghakat Vardanyan livre un premier long-métrage documentaire émouvant, tourné exclusivement grâce à sa caméra de téléphone, sur son frère, disparu dans la guerre du Haut-Karabagh

Critique : 1489

Depuis le 1er janvier 2024, la république du Haut-Karabagh (ou Artsakh), jamais reconnue par la communauté internationale, a cessé d'exister, officiellement. Peu après l'invasion de la région par l'armée d'Azerbaïdjan, en septembre 2020, le président Samvel Shakhramanyan a signé un décret promettant de dissoudre toutes les institutions étatiques de ce territoire, qui appartient historiquement à l'Arménie mais s'est trouvé assigné à l’Azerbaïdjan pendant l'ère soviétique, et à la fin de septembre 2023, toute la population locale a dû fuir. Le conflit, dans les marges de l'Europe, n'a fait que quelques heures dans les actualités internationales. Une semaine plus tard, avec le conflit qui a éclaté à Gaza, tous les regards se sont tournés vers l'Israël.

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En utilisant uniquement la caméra de son téléphone, l'étudiante en journalisme Shoghakat Vardanyan a entrepris de raconter l'angoisse qui a tenaillé sa famille lors de la disparition de son frère Soghom on quelques jours après le début de la guerre, alors qu'il terminait son service militaire obligatoire. 1489 [+lire aussi :
interview : Shoghakat Vardanyan
fiche film
]
, en référence au code attribué au cadavre d'un "disparu au combat" anonyme, est le titre de son premier long-métrage documentaire, qui a remporté en novembre deux prix, dont celui du meilleur film, à l'IDFA et qui joue à présent au Festival du film de Trieste.

“Il n'est pas dans la liste des soldats morts au combat. Adressez-vous à l'Institut militaire Mamikonyan”. C'est par ce coup de téléphone que commence la quête fébrile d'une étudiante en musique de 21 ans. Le doute s'insinue dans l'esprit des parents de Shoghakat. “Tu parles de lui au passé", reproche la jeune femme à son père Kamo. “C'est la peur qui parle. Le mal est en train de détruire mes rêves. J'ai construit un nid pour ma famille et voilà que des barbares viennent envahir ma vie". L'objectif de la réalisatrice évolue sans se soucier de quelque syntaxe cinématographique que ce soit, et on découvre une mère qui coud des oreillers pour les jeunes gens qui sont sur le front, prie ou lit un livre étendue sur le canapé pour se distraire de son idée fixe, un père artiste qui travaille la glaise et peint, et qui a construit dans cette enclave défendue bec et ongles (la guerre pour le droit à l'autodétermination du peuple arménien qui vit là a commencé en 1988) une maison spacieuse et lumineuse.

Quand il se rend à la caserne pour demander des nouvelles de son fils, Kamo s'arrête pour observe les frises d'un vieux portail en pierre qui représente l'arbre de la vie et en particulier le héros appartenant à la mythologique arménienne Sanasar. Sa sensibilité d’artiste refuse l'idée de cette violence, de son fils affamé et transi, caché dans les bois, traqué par l'ennemi. Son obsession de l'image est ce qui l'amène à dessiner sur un bout de papier l'itinéraire possible de la retraite du bataillon auquel appartenait Soghomon. Ce sont les moments visuellement les plus évocateurs du documentaire. Si les vieilles images d'un Noël en famille et la lecture d'une note de Soghomon exprimant ses voeux pour la nouvelle année ("que je puisse servir mon pays sans incident") amènent le spectateur à s'impliquer beaucoup émotionnellement, la réalisatrice ne nous épargne pas la cruelle vision des restes de son frère quand il est enfin retrouvé à 9 km de Hadrut sur la route de Jebrayil.

De cette tempête émotionnelle filmée en direct sur deux ans, Shoghakat Vardanyan a distillé les 76 minutes que dure 1489, aidée au montage par Tigran Baghinyan et Armen Papyan. Elle livre un récit intime, nu, cru, tremblant mais ferme, indifférent aux règles dictées par la retenue et la pudeur comme aux règles qu'on apprend dans les écoles de cinéma, et qui nous parle de mille guerres, passées, présentes et futures.

1489 a été autoproduit par Shoghakat Vardanyan.

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(Traduit de l'italien)

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