CANNES 2024 Quinzaine des Cinéastes
Critique : Mongrel
par David Katz
- CANNES 2024 : Ce premier long-métrage bien concentré sur son sujet de Chiang Wei Liang évoque le travail des migrants et le crime organisé dans la province taïwanaise

Dans Mongrel, le premier long-métrage de Chiang Wei Liang, un film dur mais gratifiant qui a fait sa première à la Quinzaine des Cinéastes de Cannes, un homme associé à un cercle de trafic humain réévalue sa collusion et sa complicité avec cette organisation. Comme nous l’a rappelé très récemment Locust [+lire aussi :
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Mongrel (litt. corniaud, ndlt.) est à la fois un film casi-criminel empreint d'un sentiment de fatalité et une pièce de chambre sensible et cruelle sur les soins en fin de vie, où la mort imminente est dénuée de toute dignité : ces deux tonalités sont bien unies par la concrétude du travail du chef opérateur Michaël Capron (un habitué des films narratifs plus exigeants encore) sur les teintes sombres, qui fait paraître les intérieurs des gens pauvres représentés aussi froids et putrides que les nuits humides. L'anti-héros du film, Oom (Wanlop Rungkumjad), a immigré clandestinement vers Taïwan depuis la Thaïlande. À présent, il opère comme fixeur pour Hsing (Hong Yu-hong) et gère d'autres travailleurs immigrés issus du trafic tout en passant la majorité de son temps comme aide-soignant en soins palliatifs pour Mei (Lu Yi-ching), une vieille dame, et son fils paralytique et handicapé mental Hui (Kuo Shu-wei).
S'il apparaît que les migrants, qui viennent tous de pays d'Asie du Sud-Est environnants, comme les Philippines et Singapour, sont envoyés pour être employés à d’autres tâches difficiles et ingrates, s'occuper des personnes âgées et malades de la partie montagneuse de l'île est leur premier travail. Mais en cet endroit où les disparités sont encore plus grandes et l'accès aux services essentiels plus difficiles, ces travailleurs non-entraînés se trouvent projetés dans un emploi assorti d'un niveau de responsabilité qu’ils peuvent à peine gérer eux-mêmes. Si les gens dont ils sont chargés souffrent et sont mourants, les aides-soignants comme Oom et sa collègue Mhai (Achtara Suwan) agonisent aussi, métaphoriquement, car ils se retrouvent impuissants face à une douleur qu'ils ne peuvent soigner. Oom porte des écouteurs sans fil blancs tandis qu'il fait timidement semblant de s’affairer dans le taudis de Mei, ce qui atteste de son désir de répit et de diversion par rapport à ce qu’il endure aussi.
L’intrigue en tant que telle suit la tentative d'Oom de se libérer de cette situation compliquée, et de réunir tout son courage moral pour s'opposer à Hsing et ses mercenaires de supérieurs, même s'il y arrive un peu tard. La mise en scène et les lieux dégagent une impression de confinement et d'hermétisme, mais tout cela n’est qu’un prélude à une superbe séquence qu'on a envie de taire, mais à laquelle il faut se référer indirectement, car c'est une démonstration spectaculaire et impitoyable de la manière dont les immigrants clandestins atterrissent dans les mains des trafiquants qui causent tout cela.
Le travail de Hou et Edward Yang, dans les années 1980 et 1990, a été loué pour son élément panoramique : tout en s'appuyant sur quelques plans "masters" seulement par rapport au film moyen, ils parvenaient à être riches en détails et en informations d’exposition. Pour reprendre un adjectif déjà utilisé, Mongrel pourrait sembler trop hermétique et misérabiliste, avec son accent mis incessamment sur les tourments des personnages, qu’ils ne communiquent que de manière non verbale. En référence au titre, le symbolisme canin de l’acte final représente aussi la tentative légèrement lacunaire de Chiang d'amener l’arc d'Oom vers un moment de paix et de reconnaissance de soi. Cela dit, laisser passer un peu plus de lumière ou de légèreté aurait emporté le risque d'entamer la morosité très efficace de Mongrel.
Mongrel a été coproduit par Taïwan, Singapour et la France à travers les sociétés E&W Films, Le Petit Jardin et Deuxième Ligne Films. Les ventes internationales du film sont gérées par Alpha Violet.
(Traduit de l'anglais)
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