18/06/2024 - Karim Bensalah signe un premier long métrage original, instructif et attachant sur le sujet classique de la quête d’identité et du passage à l’âge adulte

"Arrête de faire semblant que tout va bien. Tu as peur. Il faut s’exposer, se dévoiler un peu." Parfois, grandir est difficile et, angoissés par la perspective de se jeter dans le grand bain de la vie, les éternels étudiants se réfugient souvent derrière des excuses diverses pour éviter la confrontation avec eux-mêmes, un face-à-face qui n’a rien d’évident car en réalité, ils ne savent pas qui ils sont. Cette situation, commune à beaucoup de jeunes et qu’on pourrait qualifier de passage de cap existentiel, est d’autant plus compliquée quand s’y ajoutent des questionnements confus d’identité de pays et de classe sociale. Tel est le cadre intelligent dans lequel Karim Bensalah (cinéaste français de père algérien et de mère brésilienne) a inscrit son premier long métrage, Six pieds sur Terre, remarqué en compétition au Cinemed de Montpellier et au Festival Premiers Plans d’Angers, prix du scénario au Red Sea Film Festival et que Jour2Fête lancera le 19 juin dans les salles françaises.

"D’où tu sors ? – De nulle part". Sofiane (Hamza Meziani) aime faire valoir son côté cosmopolite, sa jeune existence passée dans le sillage de son père diplomate. Italie, New York, Venezuela, France, Sénégal : le dilettante étudiant lyonnais n’a absolument aucune inclinaison pour les origines paternelles ("tous vos trucs arabes, algériens, kabyles, ça me gonfle"). Mais une lettre remet tout en question : Sofiane dont les études ont trop traîné (de changements de cursus en examens ratés) a 30 jours pour quitter la France. La seule parade à l’épée de Damoclès d’une expulsion est d’obtenir un contrat de travail. Voilà donc notre anti-héros propulsé à Roubaix dans une société de pompes funèbres musulmanes dirigée par un cousin de son père. Là, "le nouveau" est placé sous la coupe de l’expérimenté Hadj (Kader Affak) qui parle très peu, "mais n’en pense pas moins." Très réticent, Sofiane découvre un monde de rituels dont il ignorait tout. Il rencontre aussi une fille, mais son parcours initiatique, sa remise en cause personnelle et son réapprentissage de l’attention à autrui, de l’écoute et de la communication, ne font que commencer et n’iront pas sans heurts…

"Tu ne fais rien, tu regardes seulement". À l’image de cette première consigne de Hadj à Sofiane, Six pieds sur Terre immerge le spectateur au coeur d’un rituel funéraire où le lavage du corps du défunt et son enveloppage dans un drap blanc prennent une dimension de douceur sensuelle balayant tous les préjugés. Un métier très particulier faisant écho à la trajectoire de renaissance de Sofiane ("la mort n’appartient à personne. Que faire quand la volonté de l’individu s’oppose aux traditions de ses ancêtres ?") qui cherche douloureusement sa place dans le monde entre agitation intérieure, solitude et passivité auto-justificatrice. Des noeuds qui se dénoueront au fil d’une intrigue simple mais très finement écrite par Karim Bensalah et Jamal Belmahi, un récit laconique mais qui sait respirer quand il est nécessaire et qui en dévoile beaucoup sur ce qui fonde le respect humain et sur la nécessité de ne pas juger "les gens, qu’ils soient morts ou vivants". Un parcours initiatique au croisement du matériel (les cadavres, la morgue, le commissariat, les trajets en voiture, les repas entre collègues ou en famille, etc.) et le spirituel que la mise en scène incarne subtilement (sous la modestie des moyens) avec notamment un travail tout en délicatesse (du clair-obscur à la lumière) de Pierre-Hubert Martin à la direction de la photographie.

Six pieds sur Terre a été produit par Tact Production et coproduit par Les Films du Bilboquet. Les ventes internationales sont pilotées par The Party Film Sales.