Critique : The Hungarian Dressmaker
par Savina Petkova
- Avec ce film historique solide tiré de la nouvelle Ema et le sphinx de Peter Krištúfek, Iveta Grófová nous transporte dans Bratislava en temps de guerre

Bratislava, 1942. "Le monde entier est sens dessus dessous", dit un officier à un autre, et cette réplique suffit à donner le ton du troisième long-métrage d'Iveta Grófová, The Hungarian Dressmaker [+lire aussi :
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fiche film], qui a fait sa première dans le cadre de la compétition pour le Globe de cristal du Festival de Karlovy Vary. Ce film historique inspiré d'une nouvelle (Ema et le sphinx) a été tourné à partir d'un scénario de l'écrivain et réalisateur Peter Krištúfek, qui a hélas connu une fin prématurée tragique très peu de temps avant le début du tournage. Grófová, dont le deuxième long-métrage, Little Harbour [+lire aussi :
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fiche film], avait remporté un Ours de cristal à Berlin en 2017 (dans la section Generation Kplus), a aussi contribué au scénario, en plus de mettre en scène le film.
Son nouveau film suit le personnage de Marika (Alexandra Borbély, de Corps et âme [+lire aussi :
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fiche film]), la veuve hongroise d’un soldat slovaque, qui perd son emploi comme couturière de la ville du fait des déportations. Sa vie semble être dans un état d’entre-deux (assez paisible), jusqu’à ce qu’elle découvre un jeune garçon juif appelé Šimon (Nico Klimek) caché dans sa grange.
Le premier long-métrage de la réalisatrice slovaque, Made in Ash [+lire aussi :
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fiche film] (2012), explorait l’intersection des langues et leur signification géopolitique en Europe centrale, vingt ans après la chute du mur de Berlin, de sorte qu’il n’est pas du tout surprenant qu’elle exprime de nouveau son penchant pour la représentation subtile des différences et similarités entre les gens à travers les idiomes. Dans The Hungarian Dressmaker, c’est l'alternance entre le slovaque et le hongrois, qui tantôt sont mis face à face, tantôt s'entrecroisent, qui rend compte des tensions sociales. Que ce soit à l’église, dans les foyers ou en public, user d’une langue ou de l’autre signifie soit l’allégeance, soit le défi : il est clair que l’appartenance à une culture ne signifie plus la même chose qu’avant.
L’invasion par Hitler a fracturé la Tchécoslovaquie indépendante, nous informe l'épigraphe du film, qui présente la Slovaquie de la Seconde Guerre mondiale comme un endroit sous pression où règne une grande ambivalence politique. À ce moment-là, plus de deux tiers de la population juive du pays était en train d'être déportée vers la Pologne occupée, et le film nous le fait sentir à travers un sentiment de malaise de plus en plus fort, ainsi que les rumeurs de fermetures et de disparitions, devenues quotidiennes. Dans ce contexte, la présence de Šimon et la décision (réticente) de Marika de le cacher devient le nœud émotionnel du film, tandis que le jeune garçon essaie de comprendre la signification de la guerre et de la vie en temps de guerre, de même que Marika.
The Hungarian Dressmaker est assez honnête par rapport à son héroïne pour la montrer dans ses forces comme dans ses faiblesses, notamment à travers une sous-intrigue, sa relation compliquée avec un officier nazi slovaque, gouvernée par des moments d'attirance et de rejet qui aboutissent souvent à des éruptions violentes, peut-être pour symboliser une identité européenne qui semble impossible à négocier. L’effervescence de Borbély brille dans les moments de passion comme de haine (rares et bien espacés entre eux), mais sa présence forte et autrement pondérée donne au film la gravité dont il a besoin pour raconter son histoire sinueuse de deuil et de survie. En guise de contrepoint au sérieux de toutes ces interprétations en costume, le chef opérateur Martin Štrba crée un style visuel frénétique et enfermé dans des espaces réduits caractérisé par une large utilisation de la mise au point sélective. Le monde n’est pas seulement sens dessus dessous, mais aussi flou et de plus en plus insaisissable – une manière parfaitement idoine d'imaginer comment la Seconde Guerre mondiale a pu être vécue par une couturière solitaire et un enfant abandonné dans la Slovaquie de l’époque.
The Hungarian Dressmaker a été produit par la société slovaque PubRes, en coproduction avec Total HelpArt THA (République tchèque) et Campfilm (Hongrie). Les ventes internationales du film sont gérées par Reason8.
(Traduit de l'anglais)
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