email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

KARLOVY VARY 2024 Proxima

Critique : Nothing in Its Place

par 

- Le 5e long-métrage du Turc Burak Çevik, qui se passe en 1978, présente un combat entre différentes factions idéologiques dans son pays comme universel, mais n'arrive pas à captiver le spectateur

Critique : Nothing in Its Place

Dans son cinquième long-métrage, Nothing in Its Place, qui vient de faire sa première internationale dans le cadre de la Compétition Proxima de Karlovy Vary, le réalisateur turc Burak Çevik observe une guerre idéologique (et parfois littérale) entre une organisation de gauche et le mouvement d'extrême droite turque des Loups gris qui s'est livrée en 1978 dans son pays. Si son approche stylistique distinctive laisse entendre qu'il voit ce combat comme universel et représentatif d'affrontements existant ou ayant existé partout dans le monde, et ce tout au long de l'histoire de l'humanité, le film n'arrive pas à faire en sorte que le spectateur se sente impliqué.

Il semble que le film ait été réalisé en un seul plan-séquence, mais on y trouve de nombreuses possibilités de coupes invisibles, en particulier quand la caméra passe à travers le judas de la porte de la maison d'où les cinq membres du groupe opèrent. Ces jeunes hommes, vêtus de tenues coïncidant avec l'époque et portant la moustache de mise dans cette culture, fêtent le vingt-quatrième anniversaire de l'un d'entre eux et parlent du dernier numéro de leur magazine.

Il n'y a pas d'exposition au-delà de la première minute, pendant laquelle on entend un présentateur de télévision mentionner des accrochages entre les deux factions, mais on comprend que les gens qu'on voit là sont des étudiants idéalistes qui lisent Marx, et on recueille quelques informations sur un complot financier lié au coup d'État de Pinochet qui a renversé le gouvernement Allende, ainsi que sur les qualités de Cruyff, un footballeur jouant certes à l'Ajax, une équipe qui a soutenu les nazis, mais qui a à présent une chance de marquer contre l'Argentine fasciste… L'un d'eux découvre qu'un camarade particulièrement proche de lui possède un ouvrage des Loups gris. L'autre explique que c'est pour ses recherches, pour "comprendre comment pensent les fascistes", mais on le sent sur ses gardes tandis qu'il révèle tout cela à ses camarades.

Après une demi-heure de film, un des jeunes gens part racheter du vin et des cigarettes, et la caméra le suit. On voit deux hommes arriver en voiture au loin, après le départ d'une voiture de police avec son gyrophare allumé qui stationnait près d'eux.  Ce sont les Loups gris. Ils s'engouffrent d'un coup dans la maison, attachent nos gauchistes et se mettent à les harceler tout en cherchant des armes partout chez eux. La situation entre dans une spirale infernale, car ces deux hommes ne sont manifestement pas des voyous professionnels ni des tueurs, et leurs actes de violence ne font pas l'effet d'être particulièrement brutaux, mais plutôt pris d'une rage incontrôlable doublée d'une certaine confusion et de beaucoup de maladresse.

Le film donne vraiment l'impression d'avoir été réalisé en 1978, grâce à la palette passée, dominée par les beiges, les gris et les marrons, dans laquelle apparaissent les intérieurs. À un moment, la caméra, toujours flottante, se met en position d'"écoute" : elle se fixe sur le plafonnier et elle y reste, tandis que se déploie un débat philosophique sur la notion de révolution pacifique. Ces platitudes théoriques font toutefois assez éculées, vues à travers un regard contemporain, surtout dans la mesure où elles émanent de personnages insuffisamment épais, même si les acteurs qui les jouent sont plus que compétents.

Le choix du plan-séquence (confié au chef-opérateur Baris Aygen) crée aussi une distance, car il a une part de voyeurisme (la caméra jette souvent des coups d'oeil subreptices ça et là et suit beaucoup les personnages), ce qui donne au film une allure plus théâtrale que cinématographique. Le thème musical composé par Faten Kanaan pour le film est dissonant, intense et lourd de chagrin, mais il n'aide pas à immerger le spectateur dans la situation, et comme on se sent déjà peu connecté aux personnages, la distance entre cette phase de l'histoire de la Turquie et tout spectateur qui ne serait pas turc donne au film un aspect plus théorique qu'universel.

Nothing in Its Place a été coproduit par Fol Films et Vayka Films en Turquie, avec Flaneur Films (Allemagne) et le Festival de Jeonju (Corée du Sud).

(Traduit de l'anglais)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Privacy Policy