FILMS / CRITIQUES Italie / France
Critique : Shukran
par Camillo De Marco
- Un épisode du conflit syrien tourné avec émotion et beaucoup d'engagement civique, mais peu de moyens, par le réalisateur débutant dans le long-métrage Pietro Malegori

Avec 22 millions de personnes obligées de quitter leur pays et plus de 6 millions d’enfants vivant encore en zone de guerre, le conflit syrien représente, après 12 ans, la plus grande crise humanitaire de notre époque. Avec Shukran [+lire aussi :
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Shukran (un titre qui reprend le mot "merci" en arabe) s’ouvre sur la voix off de Jala (incarnée par l’actrice franco-algérienne Camélia Jordana), perfusionniste (chargée de contrôler les appareils qui permettent la circulation extracorporelle du sang pendant certaines opérations). Elle raconte sa rencontre avec le chirurgien cardiaque Taher Hailar (Shahab Hosseini) à l’hôpital pédiatrique de Damas, une des rares structures qui n’a pas été détruites. Le point de vue adopté est donc celui d’une femme, doublée d'une mère dont on découvre qu’elle a perdu un enfant dans la guerre. Jala reste cependant un personnage marginal dans l’intrigue. C’est sur le médecin tourmenté que se concentre le film. C’est Taher qui dit non à son grand frère Ali, qui travaille avec les "Casques blancs" (l’organisation humanitaire de protection civile syrienne), quand il lui propose de l’accompagner dans un voyage dangereux jusqu'à Binnish, dans la zone contrôlée par les djihadistes du Front al-Nosra, pour secourir un enfant malade du coeur, Mohamed. Parti seul, Ali meurt à un checkpoint dans un attentat suicide perpétré, justement, par le père du petit Mohamed.
Une série de flashbacks intervenant tout au long du film nous donnent à mieux connaître la relation entre les deux frères, fils d’un officier haut placé de l’armée, depuis le jour où, encore enfants, ils ont sauvé de la mer, ravitaillé et caché un pilote israélien (un "muqatil" : l'ennemi par excellence), un épisode qui, déjà à l'époque, avait révélé la différence de conception du monde des garçons et marqué leur destin. Mu notamment par son sentiment de culpabilité, Taher sort de sa bulle (l’hôpital où, faute de réserves d’oxygène, il doit décider tous les jours qui sauver et qui non) et part faire ce qu'espérait accomplir feu son frère. Il est accompagné dans son voyage par un vieil homme de la zone du front terroriste dont la femme a été abattue par l’armée qui réprimait les manifestations pacifiques contre le président Bachar Al-Assad au printemps 2011.
L’interprétation chargée de douleur et d'angoisse de l'Iranien Shahab Hossein (qu'on a vu dans trois films d'Asghar Farhadi : À propos d'Elly, Une séparation et Le Client [+lire aussi :
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fiche film]) est indéniablement le pilier qui porte le film, malgré un scénario trop linéaire et une rhétorique parfois trop emphatique. La mise en scène souffre à l'évidence du budget limité du film et si les scènes d'opérations chirurgicales sont excellentes, les scènes "d'action" en extérieur (l’attentat suicide, l’attaque au gaz par hélicoptère) sont moins efficaces. Le pathos est toutefois maintenu (en partie grâce à la photographie de Tommaso Fiorilli). Shukran est un premier long-métrage émotionnellement impliqué, dont l'engagement civique passionné ne fait aucun doute, mais dont on aurait préféré qu’il soit plus personnel.
Shukran est une coproduction entre l’Italie et la France qui a réuni les efforts de Addictive Ideas, 3 Marys Entertainment, Frame by Frame et Rosebud Entertainment Pictures.
(Traduit de l'italien)
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