Critique : Banzo
par Susanne Gottlieb
- Dans ce film de Margarida Cardoso, une maladie mystérieuse frappe les travailleurs sur une île africaine lointaine

Sa silhouette sombre se dresse devant les nuages, ses falaises rugueuses et dentelées percent comme des crocs prédateurs la canopée de la forêt tropicale qui enveloppe ce petit bout de terre au milieu de l’océan. Voilà le premier aperçu qu’on a de Bonne-Espérance, une île au large de l'Afrique dédiée à la production de cacao. Loin d'être un paradis, c'est un piège mortel en puissance, et la destination où se rend le Docteur Afonso Paiva (Carloto Cotta) dans Banzo [+lire aussi :
bande-annonce
interview : Margarida Cardoso
fiche film] de Margarida Cardoso, qui vient de faire sa première internationale dans le cadre de la compétition pour le Globe de cristal du Festival de Karlovy Vary. On l'a en effet envoyé sur place pour traiter une maladie mystérieuse et mortelle qui affecte les travailleurs noirs.
Le “banzo”, comme l'appelle une infirmière, a d’abord été décrit, au XIXe siècle, comme un état de dépression psychologique affectant les esclaves africains dans la colonie brésilienne. Au début du XXe siècle, en 1907 pour être précis, à des milliers de kilomètres, les propriétaires portugais des plantations ont décidé de l’appeler "nostalgie". Et si l’esclavage était alors officiellement aboli dans les colonies, tout laisse à penser que les pratiques anciennes n'avaient pas disparu.
En parlant à un groupe de travailleurs originaires du Mozambique, tous malades, Paiva se rend vite compte qu’il est probable qu’aucun ne soit monté en bateau de son propre gré pour atteindre cette île. "Pourquoi voulez-vous mourir ?", demande-t-il. "Nous ne voulons pas mourir : nous voulons rentrer chez nous", s'entend-il répondre. Cardoso, qui avait déjà traité du passé colonial de son pays natal dans The Murmuring Coast, en 2004, n'hésite pas à montrer telle quelle l'exploitation que subissent ces travailleurs pas libres du tout – une situation assez dure pour que la mort fasse l'effet d'un soulagement, dans cet endroit où il n’y a nulle part où aller.
Son approche naturaliste pourrait interroger, à un moment où le débat sur le colonialisme et la décolonisation est en train de vraiment s'engager et où toutes sortes de paroles se font entendre sur le sujet. Cardoso présente bel et bien un personnage central noir pour compenser la domination blanche. Le photographe Alphonse (Hoji Fortuna) est sans doute le seul individu noir de peau sur l'île qui est libre, dans le sens où il peut partir quand il veut.
Cardoso n’a toutefois pas de légitimité à adopter le point de vue des opprimés, et elle est très consciente de cela. Ce qui est raconté ici, c’est l’histoire des colonisateurs, et la population noire ne constitue qu'une toile de fond tranquille, une masse indistincte, ce qui résulte en partie en une perpétuation gênante de la violence hégémonique. Des photos exoticisantes des travailleurs sont prises tandis qu'on évacue les cadavres au second plan, on met des masques à crochets sur leur tête pour les empêcher de manger la terre, on les déshumanise en les alimentant de force et des corps sont enterrés avec les bras qui dépassent de terre. Est-il bien nécessaire de nous montrer cela aujourd’hui ? N'y a-t-il pas d’autres méthodes ou d’autres regards possibles pour évoquer la violence coloniale et post-coloniale ?
Ce que Cardoso parvient cependant très bien à faire ici, c’est remettre en cause l'histoire eurocentrique, embellie et lavée de ses crimes. Le "rapatriement" est le remède que prescrit Paiva aux travailleurs malades, mais ce n’est pas une solution viable, économiquement, pour le gouverneur. Quand les travailleurs mozambicains sont envoyés au loin pour mourir hors de la vue des autres, Paiva invite Alphonse, pour documenter la vérité de cet endroit, mais ça ne sert à rien : comme le fait valoir Alphonse, "le reste du monde n'y verra qu'un nègre de plus".
Banzo est une coproduction entre le Portugal, la France et les Pays-Bas pilotée par Uma Pedra no Sapato, en coproduction avec Les Films de l’Après-Midi, Damned Films et BALDR Film.
(Traduit de l'anglais)
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