Critique : Pierce
par Vladan Petkovic
- Dans ce thriller psychologique, Nelicia Low témoigne d'une excellente maîtrise du langage filmique et de la narration

Pour son premier long-métrage, intitulé Pierce [+lire aussi :
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fiche film], la réalisatrice singapourienne installée à Taïwan Nelicia Low a remporté le prix de mise en scène à Karlovy Vary. Dans ce thriller psychologique, Low témoigne bel et bien d'une maîtrise admirable de son langage cinématographique et de sa manière d'organiser le récit.
Zijie (Liu Hsiu-Fu, pour la première fois à l'écran) est un garçon de 16 ans qui fait de l’escrime et vit à Taipei avec sa mère, Ai Ling (l'actrice chevronnée Ning Ding), qui gagne sa vie en chantant des airs sentimentaux américains classiques dans un élégant restaurant. Alors que Zijie s'entraîne pour un tournoi, son grand frère Zihan (Tsao Yu-Ning) est libéré de prison, six ans avant la fin officielle de sa peine. Zihan, trois fois champion national d’escrime, a tué un adversaire avec une lame cassée. La question de savoir s'il s'agissait d'un accident ou si ce jeune homme de vingt ans est bel et bien un psychopathe est la question centrale autour de laquelle le film s’articule.
Ou plutôt, il s’articule autour de la perception qu'a Zijie de son frère. Ai Ling veut que son aîné reste à distance, mais son cadet idéalise son frère. À un dîner avec la famille de son petit ami, l'homme d'affaires Zhuang, dès que le sujet de l’escrime se présente, Ai Ling fait des pieds et des mains pour cacher son histoire familiale. Elle prétend que Zihan est aux États-Unis pour ses études de médecine.
Zijie est fermement convaincu que son frère a été condamné à tort. À présent, ce dernier travaille dans un supermarché, or comme il le répète avec insistance, la vie est difficile à Taipei pour un ancien détenu, car la vie y est chère. Quand Zhuang essaie de passer du temps avec Zijie, celui-ci en profite pour lui voler sa montre, la vendre et donner l’argent à son frère.
Tandis que le tournoi approche et que l'entraînement s'intensifie, Zihan apparaît souvent, comme sorti de nulle part, portant inexplicablement l'uniforme du club d’escrime, et enseigne à Zijie les nuances les plus subtiles de la discipline, ce qui permet au petit frère de décrocher une place dans l’équipe. Zihan encourage aussi Zijie à donner suite aux avances d’un de ses camarades, un garçon sensible qui est apparemment fan d’un groupe de heavy metal – alors Zijie aime les vieux tubes que chante sa mère, comme “Oh Carol” et “You Mean Everything to Me” de Neil Sedaka.
La mélodie reconnaissable de cette deuxième chanson est souvent intégrée dans les musiques originales composées par Piotr Kurek, autrement chargées de suspense, de manière à souligner la nostalgie de l’enfance que partagent les deux frères. Le film s’ouvre sur le souvenir flou d'un jour où le plus jeune des deux a été sauvé de la noyade dans la rivière par son frère, mais ce dont il se souvient est-il vrai ou est-ce un souvenir modifié, passé par le prisme de son désir ardent de prouver, avant tout à lui-même, que son frère est normal et que le meurtre était un accident ?
Tout au long du film, Low joue avec cette ambiguïté, et même si Zihan est à l’évidence un grand manipulateur, comme l’illustre sa relation avec son avocate, la proximité qu'elle arrive à générer entre le spectateur et Zijie fait qu'on doute comme lui de ce qu’on voit. Yu-Ning joue très bien le frère flippant et l'utilisation marquée que fait le chef opérateur Michal Dymek des gros plans renforce ses airs de psychopathe potentiel, mais la tendresse qu'a Zijie pour son grand frère nous empêche peut-être de le voir, comme elle l'en empêche lui.
Le film a été tourné dans un format 1:66:1 bien discipliné à l'intérieur duquel la réalisatrice joue des effets de symétrie et des couleurs pour rendre l'humeur des différents segments. Dans deux scènes chargées, la caméra tourne autour des personnages pour accentuer la tension. Les séquences proches du rêve qui brouillent la frontière entre réalité et perception sont parfaitement calibrées, grâce à un design sonore immersif et des indications visuelles directes. Le revirement final, clivant, transcende cette frontière et nous dit clairement que le thème clé du film est bel et bien l’amour, pas la vérité.
Pierce a été coproduit par Protocol et Elysiüm Ciné à Singapour, Flash Forward Entertainment à Taïwan et Harine Films ainsi que Fixafilm en Pologne.
(Traduit de l'anglais)
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