10/07/2024 - Maka Gogaladze entre en dialogue avec sa mère pour essayer de comprendre la logique et les croyances qui sous-tendent l'idée fortement ancrée en Géorgie selon laquelle il faut se forger le caractère

Le jour du jugement arrive pour tout parent, tôt ou tard. On parle du moment où, pour affirmer leur propre identité, les enfants désormais grands réévaluent les méthodes éducatives auxquelles ils ont été soumis, et finissent par renoncer aux schémas fondés sur l'oppression. Dans le film autobiographique Ever Since I Knew Myself, Maka Gogaladze utilise son expérience personnelle comme point de départ pour une étude analytique assez curieuse qui explore non seulement comment elle est devenue la personne qu’elle est aujourd’hui, mais aussi la manière dont la conscience de soi géorgienne et l'approche de la vie dans le pays ont été façonnées à travers l’éducation. Le film vient d’être projeté au 21e Golden Festival international de l'Abricot d'or d'Erevan, où il concourt contre neuf autres titres d'Asie de l’Ouest dans le cadre de la compétition régionale (lire l'article).

Après un plan d'ouverture sur la mer et des sous-titres où Maka explique que quand elle était petite, elle écrivait des poèmes pour les détruire tout de suite après, dans l’espoir que sa mère se sentirait coupable, le spectateur s'attend à un film de plus sur un traumatisme remontant à l’enfance. Heureusement, cette impression se dissipe vite, dès que la mère entre en scène comme interlocutrice à parts égales, une configuration qui établit clairement que le film essaie plus de représenter les vues opposées de différentes générations que de pointer les bons et les mauvais exemples. Apparemment, la mère de Maka était un mère exigeante qui l'a forcée à prendre des cours de piano et à faire des études de médecine, deux voies que Maka a ensuite abandonnées pour se lancer dans le cinéma.

Parallèlement à leur débat sur des questions de valeurs et de perceptions différentes, Maka visite des écoles de danse et de musique et suit régulièrement des cours pour comprendre d'où vient l’attitude militaire de sa mère par rapport à l’éducation des enfants. "Personne aujourd’hui ne met ses enfants dans le berceau géorgien", souligne un enseignant avec regret avant d'expliquer que le sentiment d’être liés engagerait les enfants à essayer de se libérer, ce qui leur permettrait d'apprendre à se battre et à mieux concrétiser leur potentiel plus tard dans la vie.

"Mère patrie, je te donnerai ma vie, je serai à ton service", récite une fille dans une autre classe, ce qui nous aide à comprendre un peu mieux, peu à peu, pourquoi la mère a traité sa fille comme une matière à endurcir. Pour la mère, le résultat final était le plus important, et c'est pour ça qu'elle a toujours été austère avec sa fille. Pour Maka, cependant, réussir dans ses objectifs est plus important. Non qu'elle n'accorde aucune valeur à la discipline dont elle a héritée : la leçon selon laquelle pour gagner ou accomplir une chose qu’on aime et dans laquelle on croit, des sacrifices sont nécessaires. Pour réussir quoi que ce soit dans la vie, il faut dire non à certaines choses.

"Est-ce que ça ne pourrait pas être un peu plus facile", insiste Maka. "La vie n’a pas de sens sans fardeau ni responsabilité", conclut sa mère. La fin est réconciliatoire, car il semble que la réalisation du documentaire ait aidé Maka à se débarrasser de l’angoisse qui la tenaillait quand elle a commencé ce parcours.

Ever Since I Knew Myself, qui se compose principalement d’interviews et de scènes d’observation des protocoles pédagogiques, parvient à l’excellence cinématographique en rendant l’atmosphère d’un environnement reconstitué qui unit passé et présent à travers une mise en scène poétique. Le film contient peu de têtes parlantes ; les gens sont plutôt filmés dans leur environnement naturel, et certaines des conversations entre mère et fille se déploient sur fond d'exploration visuelle d’intérieurs nostalgiques avec des éléments traditionnels, ce qui suggère une continuité spirituelle.

Ever Since I Knew Myself a été produit par la société géorgienne Formo Production.

(Traduit de l'anglais)