Critique : In the Face of Gravity
- Dans son nouveau film, le Hongrois András Fésős reconte l'histoire d'un spécialiste du sauvetage qui n'arrive pas à se sauver lui-même, ni sa famille

La Hongrie affiche, depuis toujours, un taux de suicide très élevé. La facilité serait d’en chercher l’explication dans la soi-disant mentalité nationale, dans sa géographie, sa météo ou son climat, ce qui serait inutile, même si les chiffres restent inchangés, quel que soit le système social ou politique actuel du pays. L’explication de l’échec de ces mesures préventives réside dans les systèmes eux-mêmes, très similaires les uns des autres.
Dans son dernier film In the Face of Gravity, le réalisateur András Fésős montre qu’il est conscient de ce problème. Déjà été distribué au niveau national à la fin de l’année dernière, le film vient à peine de commencer sa tournée des festivals. Après le Festival international de Transylvania à Cluj-Napoca, il a concouru dans le volet Parallels and Encounters du Festival du film européen de Palić. Sa participation à d’autres festivals devrait s’ensuivre.
Sándor Félix (interprété par Bogdan Dumitrache, vu dans Portrait of a Fighter as a Young Man [+lire aussi :
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fiche film] et Pororoca, pas un jour ne passe [+lire aussi :
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fiche film]), notre héros, est un spécialiste du sauvetage au sein de l’unité centrale des pompiers de Budapest. Outre le travail physique, il officie également en tant que négociateur, un négociateur réputé pour sa capacité infaillible à persuader les suicidaires de revenir sur leur décision. Il s’investit dans son travail au point de continuer à suivre ses "patients", ce qui lui vaut le statut de héros local, si ce n’est national.
Toutefois, les choses sont loin d’être paradisiaques sur le plan personnel. Son fils Kristóf (Olivér Benjámin Börcsök) fait partie de ceux qui filment secrètement les actions de son service et revendent les vidéos à une chaine de télévision à sensation. L'épouse et la mère n'étant pas de la partie, très certainement à cause de Félix lui-même, la fêlure entre eux est énorme.
Ces problèmes personnels vont bientôt avoir des répercussions sur la carrière de Sándor. D’abord victime d’un canular orchestré par une chaine de télé populaire, l’un de ses patients, Gábor Beke (László Keszég), persiste ensuite à vouloir se donner la mort en raison de conflits conjugaux avec sa femme (Andrea Takács). Lorsqu’une femme dont le profil classique ne coche pas les cases de la personne suicidaire parvient à le surprendre, l’image de Félix se fissure.
Oscillant entre le drame psychologique et le thriller de genre, Fésős parvient à détecter et à aborder un certain nombre de problèmes de la société hongroise actuelle (mais pas que), parmi lesquels le manque de compassion chronique et la soif de spectacle et de sensationnalisme qui mènent à l’aliénation et poussent éventuellement au suicide. Il le fait principalement en créant une atmosphère dense et pesante. Grâce à une mise en scène parfois trop expressive, mais qui maîtrise le genre et oriente les spectateurs vers des détails dont l’importance sera révélée par la suite. Il y a également des allusions subtiles quoiqu’omniprésentes à des classiques tels que Blade Runner de Ridley Scott, pendant que l'utilisation de lieux typiques de Budapest, en particulier l'un des ponts emblématiques, est également brillamment menée dans la cinématographie de Péter Szatmári et Tamás Dobos. La musique néoclassique de Gábor Keresztes parvient à créer l'illusion que le film est plus grandiose que son budget laisserait supposer.
Les problèmes avec In the Face of Gravity se nichent dans la performance des acteurs. Avec un premier rôle qui maîtrise parfaitement les expressions du visage, mais ne parle pas la langue et a donc dû être doublé, et les autres comédiens principalement issus du théâtre et bien trop mélodramatiques, les répliques deviennent un peu grandiloquentes, influençant le ton général du film. Cependant, Fésős s'adapte à la situation. Il transforme quelque chose qui devrait sembler réaliste en une vision subjective de l’effondrement de la psyché du héros, et obtient ainsi un film puissant et beau.
In the Face of Gravity est une production hongroise de Film Force et Myland Film.
(Traduit de l'anglais par Karine Breysse)
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