Critique : Dragon Dilatation
par Muriel Del Don
- Ce séduisant long-métrage de Bertrand Mandico nous catapulte dans un monde utopique dans lequel désir et décadence dialoguent gracieusement, comme deux danseuses prêtes à monter sur scène
Le réalisateur français Bertrand Mandico, véritable "aficionado" du Festival de Locarno, où il a présenté de nombreux films, dont After Blue (Paradis sale) [+lire aussi :
critique
bande-annonce
fiche film], en compétition, revient au grand événement suisse avec son nouveau travail, le surprenant Dragon Dilatation [+lire aussi :
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fiche film] (présenté hors compétition). Dragon Dilatation, combinaisons de deux essais cinématographiques, Petrouchka et La Déviante Comédie, est, comme tous les films de Mandico, un voyage hagard, érotico-décadent et toujours incroyablement poétique vers des mondes fluides (à tous points de vue) où la réalité telle que nous la connaissons s'effrite jusqu’à tomber en miettes. Libre de toute contrainte terrestre, cette même réalité se métamorphose jusqu’au paroxysme, accouchant de personnages hybrides, entre l'humain et l'animal, qui s’insinuent sous votre peau. Dragon Dilatation met le public face à la magie du cinéma et déstabilise ses habitudes en le poussant à vivre une expérience artistique qui le suivra bien au-delà de la salle de cinéma.
Dragon Dilatation – qui se divise en deux parties : la première, intitulée "Petrouchka", propose une relecture du ballet de Stravinsky et la seconde, "La Déviante Comédie", est constituée d'images des répétitions d’un spectacle que Mandico aurait dû mettre en scène au Théâtre des Amandiers – est une œuvre filmique expérimentale qui conjugue avec maestria poésie et décadence, élégance formelle et rugosité underground. Tourné en split screen, comme pour nous rappeler que la réalité n’est pas unique mais multiple, insaisissable et volontairement ambiguë, Dragon Dilatation unit deux mondes : celui, plus onirique et halluciné, de Petrouchka, avec la provocation érotico-politique de La Déviante Comédie, sorte de Divine Comédie version queer où un chien venu des enfers et appelé Rainer (en hommage à Fassbinder), interprété par la majestueuse Elina Löwensohn, pousse les personnages à vivre des aventures extrêmes qui les amènent vers une sorte d’extase underground. Comme l'a précisé le réalisateur, les deux parties du film ont été créées indépendamment et réunie seulement dans un deuxième temps, ce qui donne lieu à une rencontre brutale mais réussie entre élégance et provocation. La poésie de "Petrouchka", première partie dans laquelle la musique s’impose et déborde comme un fleuve en crue, s'unit à vrai dire magnifiquement avec la deuxième partie, plus punk et chargée d’un érotisme queer qui ne recule devant rien. À cet égard, le personnage de Conann (Claire Duburcq), une sorte de dieu Thor en version lesbienne qui rappelle parfois la folie magnétique de Peaches, est inoubliable, de même que le chien Rainer qui, le visage couvert d’un masque grotesque, pousse les personnages à expérimenter une sensualité fondée exclusivement sur le désir.
Ce qui frappe et fascine dans les personnages, c'est justement leur ambiguïté et leur ambivalence. Leurs visages et leurs corps subissent des mutations et se métamorphosent sans complexes, se jouant du binarisme de genre et des étiquettes que la société appose sur les corps comme s'il s'agissait de simples marchandises.
Même si elle est résolument plus présente dans la première partie, dans les deux, la musique offre une strate supplémentaires de magie. Dans "La Déviante Comédie", la magie se transforme cependant en manifeste queer incitant à la révolte, sorte d'elixir de vérité qui pousse le public à se confronter avec ses peurs et ses limitations. Il faut aussi mentionner Petrouchka (Clara Benador), résolument magnétique, sorte de ballerine du Bolchoï dans un style héroïne chic qui se transforme devant nos yeux en marionnette à la merci d'une créatrice de mode borgne qui rappelle Madonna dans sa période Madame (incarnée par une irrésistible Nathalie Richard). Dragon Dilatation est un film déstabilisant qui transforme le cinéma en performance artistique dans laquelle les corps se libèrent de toute restriction sociale.
Dragon Dilatation a été produit par Orphée Films en coproduction avec Venin Films, Ecce Films et Nanterre-Amandiers Centre Dramatique Nationale. Les ventes internationales du film sont assurées par Kinology.
(Traduit de l'italien)
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