Critique : Eight Postcards from Utopia
- Cette exploration par Radu Jude et Christian Ferencz-Flatz du consumérisme en Roumanie après la révolution de 1989 est un divertissement intellectuel, composé de vieilles pubs et autres images

Eight Postcards from Utopia [+lire aussi :
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Jude et Ferencz-Flatz ont divisé le film en huit : les huit cartes postales annoncées, dont les titres ironiques servent d'indications thématiques justifiant le montage qui les suit – qui comprend une foule de pubs, de segments du téléshopping et d'autres images télévisuelles. Quelques motifs sont récurrents : la banque, l'amour et le sexe par téléphone, les origines daciennes et romaines des Roumains, la révolution technologique amenée par les portables et leurs affreuses sonneries monophoniques, les produits cosmétiques et rajeunissants, les emballages en carton brillant, le cauchemar des images de synthèse, les transitions sans queue ni tête et les textes scintillants apparaissant à l'écran. Un accent particulier est mis sur les publicités pour les investissements, une sorte de "ruée vers l'or" moderne qui a fait fureur dans les pays post-socialistes et post-soviétiques dans les années 1990 – on peut citer parmi les autres exemples connus la pyramide MMM de Sergei Mavrodi et l'effondrement d'une série de systèmes de Ponzi qui a mis l'économie albanaise sur les genoux et entraîné une guerre civile en 1997.
Dans l’ensemble, le film parvient très bien à entrelacer toutes ces images pour un effet surréaliste et (parfois) tranquillement satirique. Il faut reconnaître que certains segments sont plus divertissants et dynamiques que d’autres, et que la section finale est peut-être un peu longue. Les moments phares du film comprennent une longue séquence montrant un télémarketeur qui fixe la caméra et répétant, sur plusieurs prises, la phrase "Nous nous mettons en quatre pour multiplier votre argent", et une autre qui montre des publicités centrées sur des couples (souvent en train de se disputer ou de réciter des miévreries) atteignant par moment des sommets d'imbécillité, séquence dont le rythme évoque les vidéos YTP (ou YouTube Poop, c'est-à-dire les mash-up qui font partie de la sous-culture du remix qui s'est développée sur internet).
L’éléphant dans la pièce est la question de savoir si Eight Postcards from Utopia est pleinement intelligible hors de Roumanie, et s'il convenait de programmer le film pour un public international comme celui de Locarno. Bien sûr, la saine dose d'ironie, de perplexité et de fascination injectée dans le film se transmet, mais de nombreux autres niveaux de sens seront probablement perdus pour le non Roumain.
Ceci dit, Jude et Ferencz-Flatz font preuve d'une connaissance impressionnante des mécanismes profonds de la télévision roumaine et s'avèrent de fervents connaisseurs de moments de TV depuis longtemps oublié (heureusement). Au spectateur de voir si c'est pour lui un plus qui va le convaincre d'accepter l'expérience. Ce qu’on peut dire, c’est que ce bizarre découpage offre un sympathique mélange d'extravagance, de recherche anthropologique et d'amusement qui pourrait plaire aux amateurs de nostalgie post-socialiste et de télé-poubelle.
Eight Postcards from Utopia a été produit par la société roumaine Saga Film. Les ventes internationales du film sont assurées par la société grecque Heretic.
(Traduit de l'anglais)
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