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LOCARNO 2024 Hors-compétition

Critique : Telepathic Letters

par 

- Le cinéaste expérimental portugais Edgar Pêra se sert de l’intelligence artificielle pour explorer les recoupements philosophiques entre Fernando Pessoa et H. P. Lovecraft

Critique : Telepathic Letters

Le cinéaste expérimental portugais Edgar Pêra ressuscite dans son nouveau travail, Telepathic Letters [+lire aussi :
bande-annonce
interview : Edgar Pêra
fiche film
]
, deux géants de la littérature, Fernando Pessoa et H. P. Lovecraft, afin d’explorer les affinités philosophiques et artistiques existant entre eux. Ce film unique en son genre, entièrement créé en utilisant l’intelligence artificielle, fusionne la littérature, la technologie et le cinéma. L'usage que fait Pâra de l'IA pour générer les images donne en film une esthétique irréelle qui correspond bien au reste de son œuvre. Le film est au programme du Festival de Locarno, hors compétition.

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Pêra est depuis longtemps un pionnier de l’intégration de la technologie la plus avancée dans le médium filmique, de ses premières expérimentations en 3D à ses récentes explorations de l'IA. Ses travaux précédents reflétaient déjà son intérêt profond pour Pessoa et Lovecraft. Ses films sont connus pour leur style surréaliste qui tend à désorienter, style lié à sa fascination pour l’inattendu et l’avant-garde. Cette continuité thématique et stylistique est évidente dans Telepathic Letters, où il se penche de nouveau sur le legs des deux auteurs précités.

Telepathic Letters imagine une correspondance fictionnelle entre Pessoa et Lovecraft, inspirée de leurs lettres ainsi que de leurs essais, poèmes et oeuvres de fiction. Malgré le grand écart séparant leurs milieux d’origine et leurs philosophies (la sensibilité poétique introspective et fragmentée de Pessoa tranche nettement avec l’horreur cosmique et l'angoisse existentielle de Lovecraft), Pêra identifie chez eux un intérêt commun pour les sujets métaphysiques, l’inconnu et la nature du travail artistique. Le film joue avec les conventions du documentaire en présentant Pessoa et Lovecraft comme des "têtes parlantes", l’apparence de chacun s'altérant subtilement d'un épître à l'autre, passant de relativement normale à grotesque ou fantaisiste (comme par exemple quand l’avatar de Lovecraft apparaît avec de gros yeux noirs de panda cerclés de ronds qui sont des objectifs de caméra).

Les personnages ne sont pas des deepfakes classiques : ce sont des créations de l'AI générative, ce qui signifie que leur apparence change selon la toile de fond et selon les "hallucinations" de l'IA. Cela aboutit à des anomalies visuelles, comme les yeux en forme de caméra de Lovecraft. La toile de fond de chaque lettre est tout aussi fluide. Elle présente tantôt des motifs sauvages, tantôt des scènes exagérées, comme celle où Lovecraft est entouré par une vaste bande de chats avec des regards hypnotisants (pour citer une image plus cocasse, parmi celles que le film propose).

Pêra repousse les limites en fusionnant reconstruction documentaire et quelque chose de plus proche de l’essai, juxtaposant les pensées des deux écrivains dans un dialogue fictionnel. Il utilise l'IA générative pour interpréter visuellement la notion de correspondance, ce qui donne lieu à une série de vignettes bizarres allant de la vieille photographie de style vintage où des gens rencontrent des créatures reptiliennes à des visages déformés à la manière cubiste ainsi que des distorsions surréalistes de la réalité, le tout dans le cadre d'une esthétique cauchemardesque qui débouche sur une imagerie apocalyptique.

Le film évolue avec aise entre documentaire et film d’horreur-valise. Son formalisme aux maintes facettes pourrait lui valoir d’être vu comme une œuvre d’art vidéo, un collage d’images bizarres, déroutantes et d’un autre monde. Il mélange le penchant pour le grotesque de H. R. Giger (notamment en lien avec l'horreur cosmique de Lovecraft) et le réel tel que le peignait René Magritte (pour rendre compte des tendances surréalistes de Pessoa) à travers une correspondance imaginée où la terreur et la folie sont des motifs centraux.

La fascination de longue date de Pêra pour les deux écrivains donne aussi lieu à un hommage. Cela dit, son expérimentation avec la convergence de genres multiples a d’autres implications : le film sert presque de démo pour un genre potentiel futur : celui de la ranimation posthume. Ceci pose des questions de forme et d'éthique, notamment celle de savoir à quoi mènera cette branche évolutionniste du post-cinéma.

Telepathic Letters a été produit par la société Bando à Parte, à travers laquelle Rodrigo Areias gère les ventes internationales du film pour le moment. Des négociations sont en cours avec des vendeurs potentiels.

(Traduit de l'anglais)

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