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LOCARNO 2024 Compétition

Critique : Toxic

par 

- Le film de Saulė Bliuvaitė est un récit sur le manque de confiance en soi des adolescentes par rapport à leur corps, parmi les rêves et les réalités d'une ville minière lituanienne

Critique : Toxic
Ieva Rupeikaite (à gauche) et Vesta Matulyte dans Toxic

Il est rare qu’un film avec une intrigue sans rebonds arrive à conserver l’attention du spectateur du début à la fin, et pourtant ce miracle se produit dans Toxic [+lire aussi :
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, peut-être parce que le film livre des portraits détaillés très authentiques de ses deux héroïnes (dont chacune est en elle-même tout un récit) et raconte bien la relation d’affection croissante entre elles. Ce qui commence comme une inimitié instinctive, comme quand les animaux marquent et défendent leur territoire, évolue au point que les deux personnages deviennent inséparables. On est également bluffé par la manière poétique dont le film rend leur tentative de rêver à une époque où on est censé rêver, mais dans un endroit dépourvu de points de départ. C'est à partir de ses expériences personnelles comme adolescente que la réalisatrice lituanienne Saulė Bliuvaitė a confectionné son premier long-métrage, qui vient de faire sa première mondiale en compétition au Festival de Locarno – ce qui fait d'elle la plus jeune réalisatrice à jamais concourir pour le Léopard d'or.

Marija (Vesta Matulytė), 13 ans, confiée à sa grand-mère, au fin fond de la campagne, par sa mère (qui n’a pas de place pour elle), est nouvelle à l’école. On se moque d’elle parce qu’elle boite (un défaut congénital) et que son maillot de bain fait gamine et pour couronner le tout, quelqu’un a volé son jean dans les vestiaires de la piscine. Une telle scène d'ouverture suggère un conflit fondé sur du harcèlement, mais très vite, la harceleuse apparaît déguisée en tentatrice. Une école de mannequinat suspicieuse est populaire parmi les filles de l’école, qui sont prêtes à faire n’importe quoi pour arriver à correspondre à des critères de poids impensables (quitte à sauter des repas, à se faire vomir et à ingérer des vers solitaires) et à trouver de l’argent pour payer une séance photo qui leur promet, pensent-elles, des carrières à Paris et New York. La voleuse de jean, Kristina (Ieva Rupeikaitė), se laisse duper pour participer au programme, et malgré leur inimitié initiale (qui va aller jusqu'à la bagarre à coups de poings dans la boue), Marija voit Kristina comme une âme sœur. Elle s'inscrit aussi au cours de mannequinat, ce qui les rapproche. La personne qui dirige le cours réconforte Marija en lui disant que son boitement peut être corrigé, et soudain, il devient moins prononcé, tandis qu'elle même est enfin acceptée par la communauté. Quand sa mère vient inopinément la récupérer, Marija ne veut rien savoir : elle a l’impression qu’elle a trouvé sa place, dans ce lieu que tout le monde essaie de fuir.

"Toxique" est un mot clé dans le vocabulaire des milléniaux et de la génération Z, statistiquement plus portés à avoir des problèmes de santé mentale et à se faire du mal, peut-être du fait du panorama des médias, omniprésent et agressif, qui affecte l'image que les jeunes ont de leur corps et leur confiance en soi. Bliuvaitė, née en 1994, est à cheval entre les deux générations, de sorte que sa vision des choses est authentique, fondée sur des expériences de première main. Au-delà de l’alimentation, des parents, de l’école et des relations humaines, la toxicité peut aussi venir d'un vide environnant et d'un manque de perspectives significatives, qui, pendant les années d'adolescence, où l'on est fragile, peuvent facilement être remplacées par des stimuli superficiels venant de "bienfaiteurs" extérieurs, comme l’agence de mannequins en question. Un environnement qui n'arrive pas à motiver les jeunes de manière à ce qu'ils développent un monde intérieur enrichissant va automatiquement empoisonner leur monde extérieur. Avec une caméra inquisitrice et une attention particulière accordée aux fréquences émotionnelles des personnages (non seulement à travers leurs interactions, mais aussi leurs tourments individuels silencieux), la réalisatrice rend intuitivement compte de vibrations qui ne peuvent pas être verbalisées et que seules les images peuvent transmettre. Cette qualité rend son film fascinant car totalement cinématographique, au sens le plus intime du terme.

Toxic a été produit par la société lituanienne Akis Bado. Les ventes internationales du film sont gérées par l’agence espagnole Bendita Film Sales.

(Traduit de l'anglais)

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