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LOCARNO 2024 Compétition

Critique : Agora

par 

- Le film d'Ala Eddine Slim, entre thriller d'auteur et fable, explore l'agitation politique et sociale en Tunisie en imaginant le retour mystérieux des défunts

Critique : Agora

Le réalisateur tunisien Ala Eddine Slim est en compétition à Locarno avec Agora [+lire aussi :
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, un film qui se présente comme un thriller d'auteur avec des éléments de fable. L'histoire, située dans une ville tunisienne isolée, commence par la réapparition mystérieuse de trois locaux considérés disparus, ce qui trouble la communauté, car ces revenants (appelés ainsi parce qu’ils ne sont ni vraiment vivants, ni vraiment morts) laissent présager un malaise plus profond plus sinistre. Tandis que les poissons meurent, les récoltes sont détruites par les oiseaux et les habitants de la ville ont du mal à se réconcilier avec les figures spectrales de leur passé. L’atmosphère devient de plus en plus chargée de tension et d’incertitude. Slim ponctue ces phénomènes étranges de réflexions sur la nature de l’humanité formulées par un chien bleu et un corbeau noir, qui attribue le déclin de la ville à la déchéance humaine. Dans ses films précédents, The Last of Us et Tlamess [+lire aussi :
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, Slim traitait de la mémoire, du deuil et de la tension entre la nature et la vie urbaine. Ces films, connus pour leurs dialogues minimalistes et leurs images évocatrices et atmosphériques, ont établi le style distinctif de Slim, qui se retrouve ici, dans ce récit apocalyptique rural qui fait écho à Twin Peaks.

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Dans Agora, le commissaire local, Fathi (Neji Kanaweti), et son ami Amine (Bilel Slatnia), médecin, ont du mal à comprendre la raison des événements mystérieux mais dans le même temps, ils essaient de les cacher aux habitants. Leurs efforts échouent, ce qui mène à l'intervention d’une unité spéciale envoyée tout droit de la capitale. Cette équipe, menée par Omar (Majd Mastoura) – rasé de près, lunettes de soleil – mène une enquête qui commence de manière pragmatique mais se devient graduellement une exploration plus philosophique de l’existence et des échecs du passé. L’arrivée de Omar fait monter encore davantage la tension dans la ville, et comme ses tentatives de restaurer l’ordre sont des coups d'épée dans l'eau, il fait appel à sa supérieure, une médecin énigmatique jouée par Sonia Zarg Ayouna. Le récit, initialement présenté comme un thriller criminel, bascule de manière très fluide dans le thriller de complot, et le style de Slim évolue vers un registre plus poétique.

Agora est ancré dans le paysage sociopolitique de la Tunisie d’aujourd’hui, et rend compte des difficultés économiques, sociaux et de sécurité existant dans ce pays, en formulant à travers son intrigue une critique des manquements des autorités et des problèmes systémiques qui mènent à la marginalisation et à l'abandon de communautés entières. Les revenants du film symbolisent les traumatismes non résolus et les injustices que la société laisse passer. La première est une femme qui aurait fait une chute fatale en essayant d'émigrer hors de Tunisie ; on a aussi une victime d’un attentat djihadiste, et un travailleur qui a disparu dans une carrière d'extraction minière. Ces trois cas s'inspirent d'incidents réels qui n’ont jamais fait l’objet de véritables enquêtes.

Le chef opérateur Youssef Rouissi rend bien le contraste entre le paysage urbain délabré et la présence persistante de la nature, avec des chiens abandonnés qui servent de motif récurrent. L'utilisation que fait le film de plans longs et de dialogues succincts rehaussent son élément contemplatif ; la préférence de Slim pour les gros plans fixes intensifie le côté suffocant de l’atmosphère. Agora est structuré en chapitres, chacun explorant certaines facettes du mystère et la réaction de la communauté au retour des disparus, comme un miroir des souvenirs fragmentés et des émotions non résolues d’une ville hantée par son passé.

À mesure que l'histoire progresse, le message politique du film ressort de plus en plus. Le fait que les autorités tâchent avant tout d'occulter les événements au lieu de découvrir la raison de la présence des revenants devient un motif clef qui sert de commentaire sur l’état de la Tunisie. À la fin du film, Agora a déjà glissé loin du registre du film criminel et retrouvé pleinement ses origines de fable poétique tout en maintenant sa critique sociopolitique acerbe.

Agora est une coproduction entre la Tunisie, la France, l’Arabie Saoudite et le Qatar pilotée par Exit Production en coproduction avec Cinenovo. Les ventes internationales du film sont gérées par MAD Solutions.

(Traduit de l'anglais)

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