SARAJEVO 2024 Hors-compétition
Critique : Mother Mara
- Dans le deuxième long-métrage de Mirjana Karanović, une histoire d'amour naît entre une femme d'âge moyen en deuil et l'ami de son fils

Les films centrés sur des femmes d’un certain âge ne sont pas chose courante dans le cinéma serbe, et ceux qui adoptent une perspective nettement féminine sont encore plus rares. Cependant, en se tournant vers la réalisation, la comédienne Mirjana Karanović (connue pour Esma’s Song) a décidé de faire exactement ce genre de films. Son premier long-métrage, A Good Wife [+lire aussi :
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Le personnage du titre, jouée par la réalisatrice elle-même, vient de perdre son fils Nemanja (incarné par Pavle Čemerikić dans des flashbacks et de brefs inserts de vidéos tournées sur téléphone portable), qui était la prunelle de ses yeux. Mara l'a élevé seule tout en se forgeant une carrière comme avocate en droit des affaires et à présent, tout le monde (sa famille comme ses amis), à l’enterrement et après, lui rappelle qu’il ne lui reste plus aucune raison de vivre. Comme Mara, austère, n'est pas exactement du genre à pleurer, elle essaie de surmonter sa douleur muette en retournant travailler.
Là, un jeune homme appelé Milan (Vučić Perović, qu’on a vu principalement à la télévision serbe) insiste pour qu’elle le représente dans une affaire de succession de routine. Bien que dans le cabinet de Mara, ce genre de dossier soit généralement confié aux avocats débutants, Milan a un argument de poids : il connaissait la partie de la vie de Nemanja qui était cachée à sa mère, des séances de sport aux nuits folles dans les péniches-boîtes de nuit de Belgrade. La relation strictement professionnelle entre notre héroïne d’âge moyen et cet homme, d’une génération son cadet, devient personnelle, charnelle et romantique, ce qui place Mara dans une situation complètement nouvelle.
En tant qu’actrice, Karanović a une présence imposante à l'écran. Elle est expressive dans les parties muettes comme dans les moments plus parlés de son rôle, et son alchimie avec Perović est captivante par sa maladresse – caractéristique des cultures légèrement réprimées, où de nombreuses choses restent encore tabous. La présence d’acteurs des Balkans reconnaissables – comme Boris Isaković (déjà le partenaire de Karanović dans A Good Wife), Jasna Žalica (récemment vue dans May Labour Day [+lire aussi :
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Karanović a aussi développé un certain style comme réalisatrice, un style fondé sur des idées intrigantes et claires, comme le fait que le travail à la caméra d’Igor Marović correspond aux différents états d'âme du personnage. Ainsi, les plans statiques composés de manière symétrique (généralement filmés d'une distance moyenne à grande) et les plans plus dynamiques, réalisés caméra à l’épaule, ont leurs fonctions respectives. Les scènes centrales ont également belle allure, grâce au montage méthodique de Lazar Predojev. La cheffe décoratrice Dragana Baćović mérite aussi d'être citée : la froideur stérile des décors correspond au milieu de Mara et à sa personnalité (du moins en façade). La même chose vaut pour la musique discrète composée par Ephrem Lüchinger.
Bien aidée par ses coscénaristes Maja Pelević et Ognjen Sviličić, ainsi que par Darko Lungulov, qui figure au générique comme consultant créatif, Karanović livre ici une spécimen solide, maîtrisé et bien pensé de cinéma contemporain. Cependant, il manque à Mother Mara un petit côté "sale" : le film est trop impeccable pour donner l'impression de venir du fond du cœur.
Mother Mara est une coproduction entre la Serbie, la Slovénie, la Suisse, le Monténégro, la Bosnie et le Luxembourg, pilotée par This and That Productions en coproduction avec Okofilm Productions, Paul Thiltges Distributions, December, Deblokada, VHS et RTV Slovenia. Les ventes internationales du film sont gérées par Antipode.
(Traduit de l'anglais)
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