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VENISE 2024 Orizzonti

Critique : Pooja, Sir

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- VENISE 2024 : Le troisième long de Deepak Rauniyar est un thriller complexe sur une inspectrice de police queer, le tout au coeur des mouvements des minorités ethniques de 2015 au Népal

Critique : Pooja, Sir
Asha Magrati dans Pooja, Sir

Le Népal, pays très pluriethnique et multiracial, est le théâtre de mouvements identitaires complexes depuis plusieurs décennies. L'un d'eux a vu, de 2007 à 2015, des membres de la communauté minoritaire madhesi, localisée au sud du Népal, descendre dans la rue pour protester contre le texte de la nouvelle Constitution, qui n’a pas pris en compte leurs préoccupations par rapport à leurs droits civils – ainsi que l'oppression policière constante et la discrimination massive dont les Madhesi font l'objet. Le réalisateur népalais Deepak Rauniyar, à qui on doit également Highway (Berlinale 2012) et White Sun [+lire aussi :
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(Venise 2016, candidat aux Oscars pour le Népal), lui-même madhesi, utilise ce contexte social profondément stratifié comme toile de fond pour son troisième long-métrage, Pooja, Sir [+lire aussi :
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, qui vient de faire sa première mondiale dans la section Orizzonti de la Mostra de Venise. Rauniyar en a coécrit le scénario avec David Barker et Asha Magrati (l'épouse du réalisateur et sa collaboratrice régulière, ici également comme actrice principale et directrice de casting). 

L’inspectrice Pooja Thapa (Magrati) est appelée à se rendre, de Katmandou, vers une ville frontalière népalaise pour enquêter sur le kidnapping de deux jeunes garçons, fils d'une puissante directrice d'école. Elle est aidée par une policière locale, madhesi, nommée Mamata (la lauréate de prix de beauté devenue comédienne Nikita Chandak), et par le commissaire de police de la commune, Madan (incarné par l’acteur népalais aguerri Dayahang Rai), qui doivent insister, mais aussi faire preuve d’empathie avec les autochtones réticents, pour résoudre l'affaire.

Notre héroïne calme et confiante, Pooja, a adopté des manières et une façon de s'habiller typiquement masculine (elle a les cheveux courts, une chemise à col strictement coupée) et elle veut qu'on l’appelle officiellement "Sir/Chef", et non "Madame". On apprend par ailleurs très vite que l'inspectrice vit avec son père (Chandra Dhoj Limbu) et compte sur sa compagne, Rama (Gaumaya Gurung), pour s’occuper de lui en son absence. "Tu as amené une étrangère dans notre foyer", dit son père, qui refuse l'idée même d'une relation sentimentale entre les deux femmes.

L’intrigue et l'élucidation du mystère sont dures à suivre car d’autres personnages interviennent qui peuvent distraire l'attention sur les près de deux heures que dure le film. Cependant, Rauniyar rattrape les manquements du scénario en livrant des portraits nuancés des deux héroïnes dans le contexte national, que le public étranger ne peut qu'à peine se représenter. Si Pooja a la peau claire, et n’est donc pas l'objet de beaucoup de critiques par rapport à sa couleur, Mamata appartient à un groupe ethnique minoritaire et elle a la peau plus sombre, ce qui amène un grand nombre de gens à vouloir saper sa position dans la société et essayer de renforcer sa complicité dans les actes de brutalité policière vis-à-vis de son propre peuple. Cela dit, toutes deux doivent par ailleurs faire face à la misogynie ambiante et la gérer constamment tout en essayant de résoudre une affaire avec des enjeux importants.

Pooja, Sir, auquel J. Him Lee et Alex Gurvits ont donné un montage compact et Sheldon Chau une photographie agréable, a l’atmosphère et les images nettes d’un thriller commercial plus que celles d’un film d’auteur. L'impression est complétée par la musique de Vivek Maddala, qui combine des éléments électroniques et orchestraux de manière à composer une toile de fond sonore chargée de suspense qui achève d'engager le film dans ce genre.

Les éléments les plus intéressants de ce polar sociopolitique se situent indéniablement au revers du film : dans le réseau extrêmement complexe des relations imbriquées et des tensions entre les ethnies, les classes, les castes (auquel le film ne se réfère qu'indirectement, pour le public étranger) et les sexes que tisse Rauniyar. Oubliez les momos et l'Everest : voici votre mini cours accéléré sur le Népal d’aujourd’hui.

Pooja, Sir a été coproduit par Aadi Films (Népal/États-Unis), Baasuri Films (Népal) et Tannhauser Gate (Norvège). Les ventes internationales du film sont gérées par Trigon Films.

(Traduit de l'anglais)

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