Critique : Trois amies
par Fabien Lemercier
- VENISE 2024: Emmanuel Mouret tisse un écheveau sophistiqué et brillamment mis en scène de sentiments et de marivaudages dans la pure tradition paradoxale rohmérienne

"Lyon est le décor principal. Il se passera des choses ici, là, et là, et ici aussi. Vous voyez cet homme, Thomas ? C’est un personnage important, mais pas le personnage principal. Le personnage principal, la voilà, c’est Joan : elle enseigne l’anglais. Et voilà Alice, sa meilleure amie. Thomas effectue un remplacement dans ce lycée. Le voilà dans ma classe. Mes élèves me manquent. Mais je vous égare, l’histoire commence bien avant, il y a un peu plus d’un an. Ce n’est pas forcément le moment le plus juste, mais c’est celui que j’ai choisi".
Bienvenu dans Trois amies [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film], dévoilé en compétition à la 81e Mostra de Venise, et dans l’univers cinématographique parfaitement identifiable du Français Emmanuel Mouret, expert en variations et oscillations amoureuses sur la frontière entre mensonge et vérité, comédie et tragédie banale de l’existence, perfection insatisfaisante mais profonde du couple, duplicité excitante et culpabilisante, rêves d’évasion et élans contrariés, amitiés paradoxales, évanescence et réciprocité complexe des sentiments... Une vaste toile ludique dont le réalisateur maîtrise désormais totalement les arcanes dans son style typique tournant le dos à l’intensité ("on n’est pas obligé d’ajouter du drame au drame") pour privilégier le calme, la légèreté et l’ironie (sans néanmoins jamais juger), à travers une distance littéraire d’observateur des fourmis humaines que nous sommes tous dans nos désirs de cœur et de ciel s’immisçant sans répit dans nos existences terre à terre.
Le moteur du récit (un scénario magistralement élaboré par le cinéaste et Carmen Leroi) ? Trois femmes, trois amies donc, trois vies sentimentales entrelacées de trois enseignantes de notre temps, trois aventures explorant les très simples vertiges de l’amour. Joan (India Hair) n’aime plus Victor (Vincent Macaigne) qui va tenter en vain de réparer les pots cassés, Alice (Camille Cottin) préfère faire sembler d’aimer que de souffrir d’aimer mais une petite voix intérieure va la tenter, Rebecca (Sara Forestier) a une liaison secrète avec Éric (Grégoire Ludig) le mari d’Alice. Ajoutez-y une mort accidentelle, des mois qui passent et l’arrivée de Thomas (Damien Bonnard) qui aimerait que Joan l’aime, et vous avez là la trame d’un échiquier flottant sur le cours du fleuve de la quête du bonheur aux parfums de Marivaux et d’Éric Rohmer, avec un soupçon de Bergman adouci.
Porté par la voix-off de son narrateur fantomatique, ce nouvel opus du facétieux Emmanuel Mouret développe avec art une "heureuse complexité" de l’intimité et esquisse une sorte de tendre traité de l’amour qui ne manque jamais d’humour. Le tout enchâssé dans une mise en scène de petit théâtre élégante et sophistiquée à l’image d’un réalisateur à la fois sérieux et fantasque dont la signature singulière télescope la modernité et l’intemporalité ("s’attaquer à une œuvre classique de 446 pages, ça fait peur"), ce qui lui offrira inévitablement de très ardents admirateurs.
Trois amies a été produit par Moby Dick Films et coproduit par Arte France Cinéma et par Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma. Pyramide International pilote les ventes internationales.
Galerie de photo 30/08/2024 : Venice 2024 - Trois Amies
27 photos disponibles ici. Faire glisser vers la gauche ou la droite pour toutes les voir.



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