Critique : Mon Inséparable
par Fabien Lemercier
- Anne-Sophie Bailly signe un mélodrame touchant et habilement contrôlé sur les liens entre un fils singulier et une mère qui n’en est pas moins femme

"Tu veux faire l’adulte ? Réfléchis aux conséquences." Élever un enfant handicapé est, quel que soit le handicap, un sacerdoce, et le cinéma s’est déjà emparé à moult reprises et dans des registres différents de ce sujet à fort potentiel émotionnel. Mais il s’est plus rarement penché sur cette phase où l’enfant, devenu grand, rêve d’émancipation, ce qui ne va pas sans susciter de nouvelles inquiétudes et des situations complexes pour la famille qui l’entoure et le protège. Tel est le cœur de l’émouvant Mon Inséparable [+lire aussi :
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interview : Anne-Sophie Bailly
fiche film], le premier long de la Française Anne-Sophie Bailly, dévoilé dans la compétition Orizzonti de la 81e Mostra de Venise.
Pour Mona l’esthéticienne (Laure Calamy), c’est un choc quand elle apprend que son fils trentenaire Joël (Charles Peccia-Galletto) qui a un retard intellectuel depuis sa naissance, a mis enceinte Océane (Julie Froger), elle aussi handicapée et qui travaille dans le même établissement spécialisé que lui. La nouvelle secoue également les parents d’Océane, surtout le père qui se questionne avec virulence sur le consentement éclairé de sa fille. Mais c’est bien d’amour qu’il s’agit, ce qui n’oblitère aucunement les doutes profonds de Mona sur la pertinence d’un tel avenir pour un fils qui est baby-sitté en permanence et à qui elle fait croire depuis toujours que son père vit en Antarctique. Et l’événement la bouleverse d’autant plus qu’elle initie une relation avec un Belge (Geert Van Rampelberg) rencontré dans un bar. Coincée entre son instinct maternel surdéveloppé, la volonté farouche de son fils ("je veux le bébé, j’ai le droit") et l’envie d’avoir aussi sa propre vie de femme, Mona va vite exploser et voir la situation lui échapper complètement…
Bâti sur un scénario limpide et sans fioritures écrit par la réalisatrice, le film sait trouver la distance idéale entre un sujet naturellement mélodramatique et la nécessité de traiter avec pudeur le handicap sans tomber dans un excès de pathos (comme le souligne l’Ecclésiaste, cité dans le récit : "il y a un temps pour tout; un temps pour pleurer et un temps pour rire; un temps pour embrasser et un temps pour s'éloigner des embrassements"). En choisissant l’angle de la mère sans pour autant sacrifier la justesse de la restitution du caractère de son fils "spécial", Anne-Sophie Bailly montre avec finesse combien "l’anormalité" n’est pas forcément là où on l’attend. En ressort un très beau et nuancé portrait de femme ("je ne te permets pas de leçon de morale") incarnée avec l’énergie qu’on lui connaît par Laure Calamy (qui s’offre une nouvelle variation de "mère courage" après À plein temps [+lire aussi :
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fiche film] et Une femme du monde [+lire aussi :
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fiche film]). Un atout de choix pour un premier long métrage tonique et très bien rythmé qui varie avec beaucoup d’à propos ses décors et qui rend accessible à tous la sensible question de société du handicap sans être ni scientifique, ni naturaliste, mais juste humain.
Mon Inséparable a été produit par Les Films Pelléas et coproduit par France 3 Cinéma et par Pictanovo. Les Films du Losange pilote les ventes internationales.
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