Critique : The Brutalist
par Marta Bałaga
- VENISE 2024 : Brady Corbet y va fort et sombre, et livre son meilleur film à ce jour, un travail fascinant, éreintant et profondément triste

L’auteure de ces lignes ne sait toujours pas ce qu'est vraiment The Brutalist [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film] de Brady Corbet. Un drame historique avec des célébrités reconnaissables ? Un film sur l’architecture (et les meubles design) ? Une histoire d’amour ? Le film parle d'événements traumatisants difficiles à oublier, d’espoir, d’obsession, peut-être de la guerre... Peu importe, finalement : le résultat est franchement impressionnant.
Ce travail, projeté à Venise en compétition, a un début optimiste : László Tóth (Adrien Brody), un architecte juif vivant à Budapest, s’est débrouillé pour survivre à la guerre. Il ne compte pas attendre pour voir ce qu’il va se passer ensuite, et émigre aux États-Unis dans les années 1940. Il est seul, mais sa femme, Erzsébet (Felicity Jones), a apparemment également survécu. Il espère qu’elle sera en mesure de le rejoindre un jour, mais en attendant, construire une nouvelle vie n’est pas facile. Le cousin de László l'accusant d’avoir essayé de séduire sa compagne américaine, et de lui avoir coûté son plus riche client (Guy Pearce), le bref fantasme d'histoire à la Jules and Jim de notre héros se termine vite.
Une autre commence aussi sec, quand le même riche client revient frapper à sa porte. Il s’avère que sa nouvelle bibliothèque, construite par László (celle-là même qui lui a valu d’être renvoyé) est un succès : les magazines d’architecture ne tarissent pas d'éloges. De plus, il trouve leurs conversations intellectuellement stimulantes. Il pourrait avoir un autre projet, encore plus important, pour László. Du genre qui fait votre carrière, ou la brise à jamais.
Corbet, qui a écrit le scénario avec Mona Fastvold, prouve qu’on n'a vraiment pas besoin de flashbacks. On peut communiquer tellement de choses à travers les acteurs, à travers ce que disent les personnages et ce qu’ils décident d’ignorer. Après quelques rencontres avec la haute société, il devient clair que de toute façon, personne ne pourra jamais vraiment comprendre ce qu'ont vécu László et Erzsébet. Après une curiosité initiale, la nouveauté qu'ils représentent s'étiole. "Ils ne veulent pas de nous ici", dit l'homme qui était un instant plus tôt l'épicentre de la fête la plus élégante en ville. Et à présent ? Les gens se sont lassés, et ils aimeraient commencer à économiser de l’argent sur ses designs fous.
Brody pourrait interpréter des drames historiques les yeux fermés. Il fut Le Pianiste [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film] et maintenant, il est L’Architecte. Ce qu'il livre ici est le brio même, avec accent hongrois et larme unique roulant le long de la joue en prime. Son László est un doux dingue omnubilé par une seule chose. Il construit enfin son propre Xanadu, censé être une oasis spirituelle, mais au lieu de ça, ça pue la mort. László ne faisait qu'essayer de fuir ce qui l'a presque détruit dans son pays et ça n’a pas fonctionné, alors il se contente de le reconstruire de nouveau en partant de zéro et se fabrique ainsi une nouvelle prison, cette fois dans un joli ce marbre de Carrare.
L'Enfance d'un chef [+lire aussi :
critique
bande-annonce
fiche film], de Corbet, était aussi un drame historique incongru, mais celui-ci est sans conteste beaucoup plus attrayant, et puis quand la guerre s'éloigne, les choses deviennent vraiment intéressantes. Qui est la victime et qui est l’oppresseur ? Ce n’est plus si clair, alors c’est à l’argent qu'on s'en remet. L’argent peut vous acheter des corps et des âmes, et parfois The Brutalist fait l’effet d’une version sale de Citizen Kane. L'envergure est comparable, et la folie aussi, mais la vision architecturale épurée de László est presque une blague, comparée aux corps dépendants aux substances qui se mettent à lâcher. Sa bibliothèque, parfaite, vide, baignée d’une merveilleuse lumière, où tout le désordre est bien rangé hors de vue : c’est son rêve de contrôler le monde, enfin.
C'est en fait impossible, mais voir quelqu’un essayer, de nouveau, est vraiment touchant. Est-ce éreintant ? Oui, mais ça c’est sans doute l’expérience la plus immersive que les festivaliers aient vécue dans les cinémas climatisés du Lido cette année. L’auteure de ces lignes ne dit jamais ce genre de chose, vraiment jamais, mais cette fois oui, on comprend pourquoi le film est si long. La seule chose dont on se passerait est sa conclusion, mal conçue et maladroite.
En bref, Corbet y est allé fort, et il a fait dans le sombre. On n'est toujours pas sûr de savoir de quoi qualifier The Brutalist, mais c'est certainement un film unique en son genre.
The Brutalist est une coproduction entre les États-Unis, le Royaume-Uni et la Hongrie qui a réuni les efforts de Brookstreet Pictures, Kaplan Morrison, Andrew Lauren Productions, Protagonist Pictures (qui pilote aussi les ventes internationales), Intake Films et Proton Cinema.
(Traduit de l'anglais)
Galerie de photo 01/09/2024 : Venice 2024 - The Brutalist
19 photos disponibles ici. Faire glisser vers la gauche ou la droite pour toutes les voir.



© 2024 Fabrizio de Gennaro for Cineuropa - fadege.it, @fadege.it
Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.