Critique : La chambre d'à côté
par Marta Bałaga
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Avant, les films de Nancy Meyers ne parlaient que d’amour, en théorie. Généralement, les développements romantiques étaient beaucoup moins intéressants que les domiciles magnifiques de ces personnages chamailleurs. L’auteure de ces lignes se rappelle un article intitulé "Enterrez-moi dans une cuisine à la Nancy Meyers" : tout est dit. Ici, on a exactement le même problème, et une autre cuisine fabuleuse.
Dans La chambre d'à côté [+lire aussi :
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fiche film] de Pedro Almodovar, qui vient de faire sa première mondiale en compétition à Venise, on a du mal à se concentrer sur la bataille entre la vie et la mort au coeur de l'intrigue quand des papiers peints stylés, des canapés colorés et une maison de vacances moderne avec des fenêtres immenses, voire un véritable Hopper, détournent votre attention. C’est comme si quelqu’un avait feuilleté trop longtemps des magazines de décoration d’intérieur, en prenant trop de notes. Almodovar a toujours aimé les touches de couleur et les décors stylisés, mais ses personnages avaient jusque là une énergie qui leur correspondait. Dans son nouveau film, les interprétations sont plus contenues, plus raides, alors on a plus de mal à s’y intéresser.
Pourtant, il faudrait : Ingrid (Julianne Moore), écrivaine à succès, découvre que sa vieille amie Martha (Tilda Swinton) est malade, très malade. Elle ne l’a pas vue depuis des lustres, mais leur lien d'amitié était jadis très fort (à un moment, elles ont même partagé un amant "enthousiaste", incarné par John Turturro, qui prononce sans enthousiasme aucun un discours sur le changement climatique). Elles ne tardent pas à se rapprocher de nouveau, mais Martha, lasse de souffrir et des traitements expérimentaux qui ne vont nulle part, a un plan : elle veut mourir.
C’est déjà tragique, mais l'histoire avait le potentiel pour devenir encore plus sombre et, disons-le, beaucoup plus intéressante. Après tout, ce que le personnage de Moore finit par accepter de faire n’est pas exactement légal. De plus Ingrid est terrorisée par l'idée de la mort : elle a écrit tout un livre sur le sujet, et pourtant elle accepte d’aider son amie. Pourquoi ? Peut-être parce qu’elle sait que ce sera utile. Pas seulement pour elle en tant qu’être humain, mais aussi pour elle comme écrivaine. "Tout peut faire un bon sujet", disait Nora Ephron. On peut tout exploiter.
Ingrid et Martha parlent d'amitié, mais cette relation de dernière minute pourrait bien être plus transactionnelle que les intéressées ne veulent l’admettre. Le film s’inspire du roman Quel est donc ton tourment ? de Sigrid Nunez, mais l'écrivaine s’est interrogée sur des questions similaires dans le best-seller L'ami. "En écrivant sur quelqu’un qui est perdu, ou même juste en parlant trop de cette personne, on risque de l'enterrer pour de bon". Après, quand on est déjà écrivain de métier, il n'est pas facile de s’arrêter d'un coup de chercher des idées, surtout quand quelqu’un vous fait plus ou moins don de son journal intime.
Soudain, Martha se met à parler de son passé, beaucoup, en particulier de sa vie comme mère adolescente et reporter de guerre (ce qui donne lieu à des flashbacks assez gauches). Cherchait-elle une camarade de confiance ou a-t-elle été plus stratégique que cela dans son choix, pour s'assurer qu'on se souviendrait d’elle après sa mort ? Peut-être qu'on a juste cette impression parce que Moore et Swinton ne semblent pas toujours logiques ensemble, en terme d’alchimie. Les dialogues, incongrus et maniérés, n'aident certainement pas. The Room Next Door fait extrêmement théâtral, tout en dégageant un parfum de "film de femmes" au sens classique, un genre dont ce travail partage aussi le sentimentalisme. Inutile de préciser que le grand tire-larmes par excellence, Lettre d'une inconnue, fait aussi une apparition ici.
Beaucoup attendaient avec impatience le premier film en anglais d'Almodovar, mais difficile de dire si l'attente en valait la peine. Le film est tellement froid, tellement guidé... Il est joli, il se laisse regarder, et le monde entier ira le voir, ne serait-ce que pour les stars qu'il réunit, mais il est aussi vide que la spectaculaire demeure louée pour le dernier voyage de Martha. Tout bien considéré, Meyers peut garder sa cuisine : enterrez-moi dans une maison à la Almodovar.
La chambre d'à côté, scénarisé par Almodovar lui-même, a été produit en Espagne par El Deseo et Movistar Plus+, avec Sony Pictures Classics aux États-Unis.
(Traduit de l'anglais)
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