VENISE 2024 Giornate degli Autori
Critique : Manas
par Vittoria Scarpa
- VENISE 2024 : Avec délicatesse et respect, Marianna Brennand fait le jour sur le caractère coutumier, glaçant, des abus sexuels sur les fillettes dans un village de la forêt amazonienne

On reste abasourdi devant Manas [+lire aussi :
bande-annonce
interview : Marianna Brennand
fiche film], le premier long-métrage de fiction de la Brésilienne Marianna Brennand, en lice aux 21e 21me Giornate degli Autori de la Mostra de Venise. Pour ce qu’il raconte, pour la manière dont il le raconte et pour la pénétrante prestation de ses interprètes. Avec ce film, fruit d'une décennie de recherches sur le sujet des abus sexuels sur les mineures dans certains villages de la forêt amazonienne, Brennand (qui a étudié le cinéma à l'Université de Californie et déjà réalisé plusieurs documentaires) fait le jour sur une réalité glaçante, celle de l’île de Marajó, au nord du Brésil, où les abus et l’exploitation sexuelle des fillettes et des adolescentes sont la norme, au sein de leur foyer comme au-dehors. C'est une chose tacitement acceptée parce que, comme disent certains, "ça passera".
L’héroïne de Manas est Marcielle dite Tielle (incarnée par l’extraordinaire débutante Jamilli Correa). Elle a 13 ans et au début, elle semble vivre un quotidien heureux avec sa famille (sa mère enceinte, son père, ses deux frères et une petite sœur) dans une petite maison de bois sur la rivière, entre l’école, l'église et les feuilletons télévisés. Le type bedonnant qu'indique une de ses camarades de classe est un premier signe que quelque chose ne va pas comme il faut dans cette communauté, mais ensuite tout redevient normal : les jeux entre copines, les baignades dans la rivière, les déjeuners en famille... Jusqu’à ce que son père Marcílio (Rômulo Braga) se mette à concentrer son attention sur elle, Tielle, alors qu'elle est en pleine puberté. Sous le regard effaré mais impuissant de la mère, Danielle (Fátima Macedo), Marcílio invite sa fille à partager sa couche (le hamac où elle dort habituellement s'est mystérieusement déchiré), puis lui apprend à manier un fusil. Un jour, après une battue de chasse en forêt, elle s'y retrouve seule avec son père. Après cela, Tielle ne sera plus la même : son regard change, son sourire s'éteint.
"Il y a des choses qu’on ne peut pas changer", dit-on à la toute jeune fille quand elle cherche à se rebeller contre son destin. Elle voudrait de nouveau dormir dans son hamac, mais chacune de ses tentatives de le réparer est sabotée : elle n’a pas d’issue. C’est ainsi que pour Tielle a commencé une perte d’innocence progressive qui va l’amener à proposer ses faveurs à qui veut, y compris les hommes de la barge commerciale où elle va vendre des crevettes. Parce que toutes les filles font ça, même sa meilleure amie. Heureusement, il y a une policière, Aretha (Dira Paes), à qui ces trafics illicites n'échappent pas et qui soupçonne fortement Marcílio d'avoir des comportements déviants au sein de sa famille. De fait, il s'est mis emmener en forêt la petite sœur de Tielle, aussi, et là où la loi n'a aucune prise, c'est le courage d’une petite fille dont on a abusé qui va faire la différence.
"Manas", en portugais, signifie sœur. C'est précisément de sororité que parle ce film où les femmes, surtout les plus jeunes, cherchent à se protéger entre elles. Toutes ne réagissent pas de la même manière : pour toute grande sœur qui s'est enfuie loin de chez elle, il y a une mère qui n’arrive pas à briser les chaînes des abus, mais peut-être s'agit-il seulement de l’aider. La réalisatrice amène le spectateur à ressentir ce que ressent l'héroïne, à entrer en empathie avec elle, dans un crescendo de tension qui ne diminue jamais. Il n’y a ici pas de sexe ou de violence explicite, les abus ne sont jamais montrés à l'écran, mais ce n’est pas nécessaire, tout est clair et ce choix, de la part de Brennand, témoigne d’une délicatesse et d’un respect rares pour toutes les jeunes femmes victimes d’abus dont elle a récueilli les témoignages pendant ces longues années de recherche.
Manas a été produit par la société brésilienne Inquietude en coproduction avec Globo Filmes, Canal Brasil, Pródigo et l'enseigne portugaise Fado Filmes. Les ventes internationales du film sont gérées par Bendita Film Sales.
(Traduit de l'italien)
Galerie de photo 02/09/2024 : Venice 2024 - Manas
12 photos disponibles ici. Faire glisser vers la gauche ou la droite pour toutes les voir.



© 2024 Isabeau de Gennaro for Cineuropa @iisadege
Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.