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VENISE 2024 Compétition

Critique : Stranger Eyes

par 

- VENISE 2024 : Le thriller du Singapourien Yeo Siew Hua suit un couple frappé par la disparition de leur fille, et c'est dans la culture de surveillance de masse du pays qu'est la clef du mystère

Critique : Stranger Eyes
Pete Teo dans Stranger Eyes

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de Yeo Siew Hua était un vêtement, ce serait un pull en laine, mais pas neuf, tout droit sorti du magasin : ce serait le genre de vieux pull qu'on a tellement mis qu'il est détendu de partout. Pour prolonger l'analogie, les fils centraux pourraient correspondre aux personnages principaux, et le film de Yeo use pleinement de ses deux heures de durée pour suivre leur long parcours sinueux jusqu'à ce que tout finisse par s'effilocher, laissant dans les mains une boule de laine emmêlée. Après A Land Imagined [+lire aussi :
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, couronné par le Léopard d'or de Locarno, le nouveau film de Yeo, qui fonctionne mieux comme une étude de caractères abordant aussi la psychologie du groupe que comme un thriller conventionnel, a été un des derniers titres à passer en compétition cette année à Venise.

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D’une manière qui rappelle certaines références récentes en matière de cinéma d'auteur à suspense, comme Caché [+lire aussi :
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de Michael Haneke ou Faute d'amour [+lire aussi :
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d'Andreï Zviaguintsev, Yeo a imaginé une prémisse de thriller type : la fillette d’un couple marié ordinaire, Junyang (Wu Chien-Ho) et Peiying (Annica Panna), se fait enlever au square, et un flic sensible mais endurci, l'officier Zheng (Pete Teo), propose des conseils patients et pragmatiques. Tandis que le scénario se déploie, en plusieurs chapitres et en adoptant plusieurs perspectives différentes, on n'est pas surpris de constater que la douleur initiale s'avère ensuite à plusieurs niveaux, qui compliquent la situation, mais on apprécie de glissement de l'angle de vue à travers différentes manières de regarder et d’espionner les autres, de la surveillance de masse à un voyeurisme dérangeant en passant par les manoeuvres du détective amateur.

Quand Wu (l'incontournable du cinéma est-asiatique Lee Kang-Sheng), un gérant d’épicerie solitaire, vient compléter le trio central de Singapouriens profondément malheureux, le sujet qui intéresse Yeo devient plus évident. En termes d'intrigue, le film est laborieux et peu réaliste (voire offensant et presque fantastique au niveau de la raison probable de l’enlèvement de l’enfant). Cependant, l’environnement cinématographique impeccable et angulaire que construit le réalisateur (où les écrans sont partout et les réseaux téléphoniques innombrables, de même que les escaliers de béton montant en diagonale qui ne mènent nulle part de précis) permet de toucher à une vérité humaine : quand on est seul ou isolé, on est susceptible de projeter des fictions sur les gens qu'on comprend mal, y compris le plus illustre inconnu. Chacun des trois personnages (d'autant plus quand Wu se rend compte que Peiying est un DJ qui gère un canal de streaming live dans le style de Twitch où ses commentaires donnent franchement la chair de poule) enquête et découvre des secrets sur les autres, ce qui ne les rapproche pas de la vérité sur le sort de la fillette enlevée, mais crée une forme de révélation par laquelle traquer d’autres gens ramène directement ces trois personnages (cette fois mieux informés) vers le point d’origine : eux-mêmes.

Junyang et Peiying sont l'archétype du couple singapourien marié de la classe moyenne ambitieuse, d'abord galvanisé par l’optimisme lié à l’économie effervescente du pays, avant de se découvrir enfermé dans sa vie, avec un enfant qui leste leurs aspirations, les rattachant malgré eux à des rôles de genre conventionnels (comme le souligne fortement un détail sur Junyang qu'on apprend plus tard). Une autre forme de surveillance est à l'oeuvre dans le film qui se passe d'écran : c'est la vue façon Fenêtre sur cour qu'a le couple sur un autre immeuble familial identique et parallèle au leur. Peut-être cette peur, cette sensibilité de Yeo à l'idée d'être observé (qui, étant né en 1985, est un réalisateur millénial tout à fait de son temps), est-elle aussi paranoïaque que ses personnages. Ceci étant dit, l'érosion de l'intimité qui caractérise notre époque est ici rendue on ne peut plus clairement.

Stranger Eyes est une coproduction entre Singapour, Taïwan, la France et les États-Unis qui a réuni les efforts d'Akanga Film Asia, Volos Films, Films de Force Majeure et Cinema Inutile. Les ventes internationales du film sont gérées par Playtime.

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(Traduit de l'anglais)

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