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VENISE 2024 Compétition

Critique : Jeunesse (Retour au pays)

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- VENISE 2024 : Wang Bing complète sa trilogie dédiée aux jeunes travailleurs chinois du textile avec un film qui est sans doute le plus émotionnellement captivant des trois

Critique : Jeunesse (Retour au pays)

I don’t wanna get me a big old loan / work them fingers to the bone” ("J’ai pas envie de me prendre un gros prêt / me crever à la tâche"), chanteur le musicien et acteur Tom Waits dans “I Don’t Wanna Grow Up”. Ce couplet à la rime monosyllabique mais poétique rend aussi très bien ce que véhicule la trilogie Jeunesse de Wang Bing, qui s'intéresse à des vies en creux, où tout a été remplacé par un travail continuel. La population chinoise excédant actuellement 1,4 milliard d'habitants, on comprend facilement comment un pays longtemps soumis à des "valeurs paysannes" (comme l'a dit Wang lui-même) a évolué vers une éthique du travail qui soutient la production de masse, fondement de l'économie nationale. À défaut d’automatisation et de recherche de plus d'efficacité, 200 000 jeunes travailleurs migrants venus de zones rurales rallient Zhili, où ils fabriquent 85 % des vêtements pour enfants du pays. La trilogie de Wang, dont le dernier volet, Jeunesse (Retour au pays), vient de faire sa première mondiale en compétition à la Mostra de Venise, documente exhaustivement l'existence de ceux qui "se crèvent à la tâche" sur des équipements industriels branlants, et son impact sur leur vie et leur âme.

Quand Jeunesse (Le Printemps) [+lire aussi :
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traçaient une cartographie des ateliers labyrinthiques et se tenaient principalement à des plans d’intérieur où l'on se sentait à l'étroit, Retour au pays inverse la tendance, offrant aux sujets du film un temps de répit en famille pour les fêtes de fin d'année, jusqu’à ce que cette pause soit cruellement écourtée. Comme son travail le plus largement encensé à ce jour, À l'ouest des rails, la trilogie couvre une période bien définie (ici 2014-2019), mais au lieu de le faire de manière chronologique et linéaire, chacune des trois parties l'aborde selon un angle un peu différent. Pour s'aventurer dans une autre analogie, ceci fait de Wang un vrai moderniste, comparable à un William Faulkner, adoptant une approche fractale du temps et de la succession des événements.

Faire sortir ses sujets (notamment les jeunes fiancés Dong Minyang et Mu Fei) de Zhili pour les mettre dans des trains et des bus en direction des montagnes du Yunnan et des rives du Yang-Tsé-Kiang donne enfin au cinéaste une occasion de nous faire profiter de son talent pour ce qui est de produire des images splendides. Filmées avec un objectif à courte focale offrant une grande profondeur de champ, l'immensité des montagnes et l'atmosphère pluvieuse, épaisse, qui nous sont donnée à voir pendant qu'on suit les personnages, à pied ou en transit, sont à couper le souffle. Cependant, on voit aussi combien, sur ce terrain dangereux malgré sa beauté majestueuse, l'absence d’opportunités et de mobilité sociale mettrait les jeunes dans une situation encore plus précaire. Wang ne fait pas dans le sentimentalisme, de sorte que même les scènes de mariage, qui comptent parmi les plus magnifiquement tournées depuis Le Parrain, sont annulées par le pessimisme et le fatalisme du message final du film.

La conclusion du film nous fait mesurer l’ironie de son titre, qui est en fait le volet le plus triste de la trilogie. Comme les travailleurs vivent sur place toute la saison, dans des dortoirs mal tenus, l’idée de "la maison" elle-même devient progressivement indivisible des banlieues de Zhili. Alors que les deux premiers films se terminaient sur des codas situées dans les provinces d'origine des jeunes travailleurs, ici, on revient à la fin dans l'atelier qu'on a attribué aux jeunes mariés, où ils devront aussi élever leurs bébés. Et les gestes en direction des travailleurs ainsi que les tentatives informelles d'union qui pourraient potentiellement permettre aux employés de reprendre une part de contrôle ne sont ici pas mentionnés. Le pénible labeur continue ; les jeunes tout court sont maintenant jeunes et mariés, avec une famille qui dépend d'eux. On ne saurait présenter un tableau plus affligeant de la condition d'une grande partie des habitants du pays.

Jeunesse (Retour au pays) est une coproduction entre la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Chine qui a réuni les efforts de Gladys Glover Films, House on Fire, CS Production, ARTE France Cinéma, Le Fresnoy, Les Films Fauves et Volya Films. Les ventes internationales du film sont assurées par Pyramide International.

(Traduit de l'anglais)

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