email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

TORONTO 2024 Discovery

Critique : Bonjour Tristesse

par 

- Dans son premier long-métrage, l'essayiste canadienne Durga Chew-Bose adapte le roman de Françoise Sagan paru en 1954 pour en faire une langoureuse fable contemporaine, déclenchée par une intranquillité persistante

Critique : Bonjour Tristesse
Claes Bang, Lily McInerny et Chloë Sevigny dans Bonjour Tristesse

"Faire son sac et rendre visite à un vieil ami au bord de la mer est quelque chose de spectaculaire", dit le père de notre héroïne, mais est-ce bien le cas ? La situation pourrait à vrai dire prendre plusieurs tournures différentes, mais dans la plupart des cas, on va forcément apprendre quelques leçons, pour le meilleur et pour le pire. C'est à partir de cette prémisse que l'écrivaine Durga Chew-Bose a décidé, pour son tout premier film en tant que scénariste-réalisatrice, Bonjour tristesse, d'aborder le roman écrit par Françoise Sagan à 18 ans, qui a déjà eu droit à une adaptation en anglais, réalisée en 1958 par Otto Preminger. Le film a fait sa première mondiale dans la section Discovery du Festival de Toronto.

Cécile (Lily McInerny), 18 ans, passe son temps à prendre le soleil, à ramasser des coquillages et à passer du bon temps avec son amoureux d’été Cyril (Aliocha Schneider) dans une villa des environs de Marseille qui pourrait rivaliser avec la belle propriété, préservée du reste du monde, du Mépris de Godard. Son père Raymond (Claes Bang), veuf, qui adore sa fille, est follement épris d'Elsa (Naïlia Harzoune), plus jeune que lui. Le trio forme une famille joueuse mais cependant soigneusement composée, sur la Côte d’Azur. Raymond appelle Cécile sa "complice", mais la dissolution de cette dynamique familiale tendre est peut-être un fait accompli dès l’arrivée à la villa d'Anne (Chloë Sevigny), une vieille amie des parents de Cécile débordante de style.

Un seul visionnage suffit à dissiper toute vélléité de comparer le film à Call Me by Your Name [+lire aussi :
bande-annonce
Q&A : Luca Guadagnino
fiche film
]
de Luca Guadagnino, même si l’intersection (si on imagine un diagramme de Venn) entre les cadres maritimes luxueux et la position socio-économique des familles représentées dans les deux films fait l'effet d'un cercle complet. Si Cécile se comporte souvent de manière impulsive et effrontée (avec une touche de la retenue que sa famille lui a sans nul doute inculquée), Anne coupe et mange ses pommes à même la pointe de son couteau, sans ciller, et dispense constamment des mots d’esprit déguisés en aphorismes ("Tout le monde a l’air vulnérable en chaussettes"). Des plans d’ensemble montrant des plages rocailleuses nous ramènent régulièrement à l’environnement de l'action, sur les scintillants arpèges impressionnistes à la Debussy joués au piano et au violon de la succulente partition composée par Lesley Barber (Manchester by the Sea). Dans la bande originale, des musiques rappelant de vieux tubes français et italiens sont mêlés à une dance music typique de station balnéaire de luxe.

Chew-Bose a réuni pour ce film une équipe de collaborateurs hors pair. Avec l’aide du chef opérateur Maximilian Pittner, elle filme la plupart des scènes de conversation à deux avec des plans resserrés sur chaque interlocuteur pris isolément, une décision qui nous amène à suranalyser chaque microexpression, même la plus imperceptible, sur leurs visages. Bonjour tristesse baigne dans un bleu omniprésent, du ciel à la mer mouchetée d'éclats de soleil en passant par la décoration de la villa (un travail soigneusement détaillé de la part de François Renaud-Labarthe, le chef décorateur d'Irma Vep [+lire aussi :
critique
interview : Olivier Assayas
fiche série
]
) et la garde-robe de Cécile (confiée à Miyako Bellizzi, la chef costumière d'Uncut Gems).

Chew-Bose signe ici une adaptation nouvelle qui se distingue des adaptations littéraires plus disjointes qu'on a pu voir dernièrement. Elle débarque en fanfare sur la scène du cinéma en témoignant d'une belle maîtrise, ferme mais expressive, de la structure (et une sensibilité comédique précise quoique subtile), mais d'une approche plus livresque et figurative des dialogues, pour ceux qui connaissent ses ouvrages. L'intériorité de Cécile étant moins présente et le film nous offrant des moments intimes avec d’autres personnages, Bonjour tristesse frôle le récit où une troisième personne omnisciente projetterait une aura de fable sur le film. Le malaise de Cécile face à la nouvelle dynamique de sa famille est presque tangible, en partie grâce à l'interprétation chargée d'angoisse adolescente, à laquelle on se rapporte bien, et de manière amusante, de McInerny.

Vers la fin, Chew-Bose doit nous donner de petits coups de coude narratifs pour nous rappeler qu'il s'agit bel et bien d'un récit apprentissage, au cas où on aurait oublié, nous forçant à recalibrer la manière dont on a évalué les scènes précédentes. Les deux heures que dure le film passent comme un navire voguant sur la Méditerranée, langoureusement, avec le délicieux éclaboussement occasionnel d'une vague inquiétude difficile à chasser.

Bonjour tristesse a été produit par Babe Nation Films (Toronto), Elevation Pictures (Toronto) et Barry Films (Berlin). Les ventes internationales du film sont gérées par Film Constellation.

(Traduit de l'anglais)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Privacy Policy