Critique : Les Barbares
par Fabien Lemercier
- Une bourgade bretonne entre en effervescence à l’arrivée d’une famille de réfugiés syriens dans une intelligente comédie engagée, caustique et affectueuse, signée Julie Delpy
"Ils sont trop gentils, nos Syriens ? Ils voulaient des méchants arabes qui foutent la merde dans un village plein de Français bienveillants, c’est ça ?" L’agitation règne dans la paisible petite ville bretonne de Paimpont (1672 habitants) sous le regard des canards de l’étang de l’abbaye, dans Les Barbares [+lire aussi :
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fiche film], le nouveau film de la toujours frondeuse Julie Delpy (nominée à l’Oscar du meilleur scénario en 2005 et 2015 pour Before Sunset et Before Midnight [+lire aussi :
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fiche film]), projeté en première internationale dans la section Galas du 49e Festival de Toronto et qui sera lancé dans les salles françaises le 18 septembre par Le Pacte.
"On n’a pas voté pour ça - Les Ukrainiens sont très demandés sur le marché des réfugiés." Le plombier Hervé (Laurent Lafitte), qualifié de "facho" par certains, n’est pas du tout satisfait par les explications du maire (Jean-Charles Clichet) à la nouvelle du changement de nationalité surprise des réfugiés que la municipalité a décidé d’accueillir. Pour l’institutrice pasionaria Joëlle (la réalisatrice elle-même) et son ami d’enfance Anne (Sandrine Kiberlain), épouse un brin alcoolique du gérant de la supérette locale (Mathieu Demy), c’est en revanche une vraie mission humanitaire que d’intégrer au mieux la famille syrienne des Fayad composée de l’architecte Marwan (Ziad Bakri), de sa femme graphiste Luna (Dalia Naous), de sa sœur médecin et désormais unijambiste Alma (Rita Hayek), de leur père Hassan (Fares Helou) et des deux enfants Dina et Waël.
La télé régionale est même là pour immortaliser en documentaire un événement qui va animer en profondeur la population, des plus jeunes aux plus anciens, de l’infirmière Géraldine (India Hair) au garde-champêtre Johnny (Marc Fraize), en passant par la propriétaire de la crêperie (Brigitte Rouän), le fermier bio (Albert Delpy), le couple de charcutiers et l’ensemble des habitants. Car tout le monde à son mot à dire sur les nouveaux venus, les rumeurs abondent ("terroristes ? ", "polygames ? "ils coupent les mains quand on regarde leurs filles", "le voile ? ", "ils ressemblent un peu à des Roms", etc.), et un tag est immédiatement peint sur la porte de leur maison d’accueil : "Dehors les Barbares."
"Qu’est-ce que ça veut dire le racisme ?" À cette question d’actualité, Julie Delpy apporte avec beaucoup d’humour des réponses qui posent à plat toutes les facettes d’un sujet très sérieux (pour ne pas dire grave) sous la couverture d’un vaudeville villageois. Construit en cinq actes ("Bienvenue à Paimpont", "1 euro et Dictature", "Chez nous", "Cassé" et "Alma et Alma"), le film navigue habilement entre ses nombreux personnages (tous très bien interprétés) et contrôle parfaitement sa dimension satirique aux frontières du réalisme, ce qui lui permet d’en dire beaucoup sur les drames de la bêtise humaine sans trop d’acidité. Souvent drôle, Les Barbares n’en reste pas moins, malgré son optimisme volontariste et engagé, un messager inquiétant de la petitesse de certains esprits qui confondent questions de principe et frustrations personnelles. Mais comme le personnage joué par la cinéaste, on ne peut qu’espérer, et tant mieux si c’est dans une relative bonne humeur, le succès du vivre ensemble et "que le monde soit meilleur".
Les Barbares a été produit par The Film et coproduit par Le Pacte. Charades pilote les ventes internationales.
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